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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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alors le danger
d’être brûlé [3] ,
avaient usé d’un subterfuge pour paraître ouïr la messe à Mespech sans
cependant l’ouïr. Ils avaient fait ménager un orifice dans la chapelle, qui
conduisait à l’étage supérieur la voix du curé Pincettes dans le cabinet de
Monsieur de Sauveterre. Là, prétextant que la boiterie de votre oncle lui
rendait incommode la dévalade de l’escalier, ils « ouïssaient » la
messe, d’en haut et de loin, hors de la vue du célébrant. En réalité, pendant
le temps qu’elle durait, ils chantaient à voix basse les psaumes de David…
    — Je sais cela, dis-je en
souriant. J’ai vu l’orifice, et mon père m’a conté l’affaire.
    — Moussu mon maître, dit
Miroul, faites donc comme votre père. Usez de ruse. Confessez-vous.
    — À ce frère diabolique !
Mais il percera au premier mot que point ne suis papiste.
    — Aussi ne vous faut-il point
vous confesser à lui, mais à Frère Hyacinthe, qui est un peu dur de l’ouïe, au
surplus rêveux et rassotté, et point du tout ami de Frère Antoine, à qui il
garde une dent de le prendre de haut avec lui alors qu’ils n’appartiennent pas
au même ordre.
    — Mais c’est merveille !
Comment sais-tu tout cela, Miroul ?
    — En parlant aux valets. Les
valets en savent plus que les maîtres, parfois même sur les maîtres eux-mêmes.
    En disant cela, son œil marron
pétilla tandis que son œil bleu restait froid, signe qu’il n’ignorait rien de
l’usance que j’avais fait de mes nuits dans les bras des deux anges et entre
les pattes du lion.
    Le Frère Hyacinthe, que Miroul
venait de nommer, cheminait toujours en queue de notre troupe, non que son
hongre fût faible, mais il ne le commandait point, laissant les rênes lâches
sur son garrot, et les deux mains, à peine les tenant, croisées benoîtement sur
une vaste bedondaine, sur laquelle semblait se fixer son continuel pensement,
pour autant, du moins, qu’on pût voir son visage à demi caché par une capuche
qui abritait du soleil son crâne chauve, gras, luisant comme marbre. Somnolant
et rêvassant, ses vastes reins appuyés sur le dosseret de sa selle, il chevauchait
ainsi tout le jour, en toute quiétude, lenteur et silence, le hongre imitant le
maître, et ne se mettant à trotter que lorsqu’il perdait de vue ses congénères,
mais sans que Frère Hyacinthe reprit les rênes ou lui donnât de l’éperon. Et
pendant tout ce temps, de parole à ses semblables, pas la moindre, et de
réponse à qui lui voulait parler, aucune, mais prétextant de sa surdité, il
répliquait à toute question : « Eh ! Eh ! Eh ! »,
marmonnant incontinent une patenôtre pour qu’on n’osât le déranger plus outre.
Ainsi paraissant toujours recueilli, et plongé en ses oraisons, il avait grande
réputation de sainteté parmi les pèlerins, et Caudebec le tenait en estime fort
haute.
    Au gîte, cependant, pourvu que la
table fût bonne, notre ermite se réveillait, baissait capuche, dévoilait son
crâne poli, et l’on voyait alors qu’il avait bonne trogne et nez cramoisi. Il
retrouvait alors tout soudain et l’ouïe pour écouter l’hôtesse énumérer les
viandes, et bonne voix aussi pour héler les chambrières qui versaient le vin,
et mangeait et buvait à tas, en silence, et la mine confite, comme d’aucuns
religieux qui se donnent tant qu’ils peuvent le plaisir du ventre, leur règle
leur défendant de s’en donner plus bas. Mais à vrai dire, je sais des moines, y
compris dans cette troupe normande, qui se souciaient de règle et de vœux comme
d’un copeau d’oignon et s’abreuvaient à péché de luxure comme à péché de
friandise. Mais bien que ce soit là, chez les papistes, de criants abus, et
qu’on devrait bien rhabiller, ce n’est point, à mon sentiment, les pires, tant
s’en faut. Quel exemple, pourtant, peut donner à son troupeau un tel berger,
surtout quand, parmi ses ouailles gîtant à la même auberge, se rencontrent de
chaste dames, comme l’étaient ces Normandes ? Et n’est-ce pas grande
honte, comme disait si bien Geoffroy Chaussier, qu’un pasteur conchié et des
brebis propres ?
    Mais je poursuis. Je retins mon
Accla, ce qui ne fut pas tâche facile, car ma petite jument noire, pétulante et
fougueuse, voulait toujours prendre le devant de ces grands chevaux normands,
et tant elle avait de sang, s’offusquait de ce que je la voulusse mettre en
queue. Il lui fallut bien obéir pourtant et se tenir

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