Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
ont
supprimé la Vierge et effacé les saints ! C’est bien œuvré. Mais que
n’ont-ils aussi réduit Jésus à sa stature humaine ; Jésus était un Hébreu.
Comme tous ceux de son peuple, il aimait vaticiner et comme il vivait dans le
célibat, la compression habituelle des esprits animaux le rendait éloquent. Ses
disciples le convainquirent qu’il pouvait faire des miracles ; il en fit,
mais les miracles abondaient en ces temps crédules ! Ils sont attestés
partout ! Jésus, de surcroît, tenait des propos odieux aux Princes des
Prêtres, lesquels, étant gens de courte patience, le firent crucifier. S’ils ne
l’eussent fait, personne ne le tiendrait aujourd’hui pour divin. Et moi,
Cabassus, comme je l’écris dans mon Nego, je ris que quatre clous et
deux planches aient fait de Jésus-Christ un Dieu ! Et si faret in
terris Heraclitus, tanquam rideret [74] .
    — Ha ! dis-je, la gorge me
serrant, Cabassus, de grâce, par respect pour vos hôtes, cessez ces atroces
discours. À peu que je ne raque votre lapin, tant je suis incommodé !
    — Aussi bien, dit Merdanson,
faudrait-il expliquer comment s’est fait prêtre un athée de merde ?
    — Croyant de merde, dit
Cabassus, vous mettez la charrue avant les bœufs : je me suis fait prêtre
pour le grand appétit où j’étais de m’instruire, et m’étant instruit, j’ai ma
belle foi perdu.
    — Et au diable elle s’en est
allée ! dit Carajac qui paraissait tout pâle d’avoir entendu de tels
propos.
    Mais ici Cabassus haussa les
épaules, se trémoussa sur son escabelle, et roulant des yeux dans l’orbite, il
leva les deux mains en l’air et cria d’une voix stridente :
    — Erreur ! Erreur !
Au Diable, je ne crois pas plus qu’à Dieu !
    — Ni Dieu ni Diable !
m’écriai-je : le monde n’a plus de sens !
    — Eh si ! Il en a
un ! dit Cabassus. Il est.
    Mais ceci me parut tant obscur que
je ne voulus pas disputer plus outre et, me levant de mon escabelle, je
dis :
    — Compains, il fait nuit noire.
Remettons nos masques sans tant languir et allons !
    Merdanson alluma la lanterne sourde,
et Cabassus nous précédant, nous sortîmes par une porte cintrée qui donnait sur
son potager, lequel, comme il avait dit, jouxtait le cimetière. J’entends qu’il
n’en était séparé que par une petite haie de romarin que nous franchîmes d’une
enjambée. C’était là pour nous une fort heureuse disposition car partout où le
cimetière n’était pas fermé par les maisons des prêtres, il était clos par un
solide mur de deux toises de haut en deçà duquel, comme nous expliqua Cabassus,
on avait disposé des pièges pour prévenir les incursions des gueux qui
ouvraient les tombes pour les larronner.
    — Voici une craie, me souffla
Cabassus, marquez les tombes chaque fois que tourne votre chemin. Ainsi vous le
retrouverez pour revenir à mon logis.
    — Vous n’êtes donc point pour
nous aider ? dis-je à voix basse.
    — Non point, je hais les
cimetières, ils puent la vanité humaine. Les riches s’y paonnent en leurs
tombes de marbre. Quand on me brûlera vif, mes cendres seront dispersées. Voilà
qui est bien : le rien retournera au néant. C’est ici, mon frère. Sous ce
monticule de terre gît une belle courtisane qui donna du plaisir à plus d’un.
Et sous celui-là, un orphelin de huit ans qui, sa vie durant, ne fit que
pleurer. Labourez. Je vous attends au logis.
    — Ha ! dit Merdanson à
voix basse dès que Cabassus eut disparu, Dieu merci, il s’en sauve ! Cet
athée de merde me change le sang en eau. Dieu me pardonne d’avoir ouï ses
abominations. Par le Christ et ses saintes plaies, je crois au Père, au Fils et
au Saint-Esprit ! Et s’il y a péché, comme je cuide, à ouvrir ces tombes,
je requiers humblement pardon à mon créateur.
    — Amen, dis-je.
    — Amen, dit Carajac. Cependant
Cabassus, quoique fol à lier, n’est point malicieux. Il donne aux pauvres tout
ce qu’il a.
    — Compains, dis-je, assez
clabaudé ! Labourons !
    Merdanson posa la lanterne sourde
sur une tombe voisine et, chacun pelle en main, nous commençâmes à dégarnir le
monticule de la ribaude. Me trouvant les mains tendres pour n’avoir point
depuis longtemps travaillé aux champs, je mis des gants pour non point me
navrer la paume contre le manche rugueux de l’outil. Le quartier de lune était
fort mince et par les nuages voilé, et encore que l’œil s’accoutumât au noir,
il ne voyait

Weitere Kostenlose Bücher