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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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guère plus à l’alentour que le blanc des croix et des pierres
tombales. J’eusse frissonné de la peur et de la tristesse dont m’infectait ce
lieu sinistre, si le branle que je me donnais ne m’avait mis sueur au front.
Cabassus avait dit que l’ouverture de la terre s’était faite à peu de frais, le
fossoyeur de la paroisse n’était point allé profond. Mais pour nous qui devions
recreuser son creusement, lourdes et longues étaient les pelletées.
    Nous labourions depuis une
demi-heure quand Merdanson, s’approchant de moi, me glissa à l’oreille :
    — On nous épie.
    — D’où ?
    — Derrière l’if, devant toi. À
senestre. J’ai vu une face blanche comme linge. Et ce disant, sa main qu’il
avait posée sur mon bras tremblait. Eh oui ! Merdanson tremblait ! Je
n’en crus pas mes sens !
    — Compains, dis-je dans un
souffle, labourez, je vais reconnaître.
    Et m’appuyant le dos, comme fatigué,
contre la tombe voisine qui était une sorte de pompeux monument de deux toises
au moins, j’accotai contre lui ma pelle, tirai mon braquemart de son fourreau,
et contournant le monument à pas feutrés, je me courbai et sur les genoux, mon
arme à la main, je rampai vers l’if. Cependant mon cœur toquait contre ma
poitrine à la rompre, et je n’avais plus de salive en bouche, ne sachant pas si
l’épieur était homme ou esprit. Lecteur, ni le Baron-Boucher de la Lendrevie ni
les caïmans des Corbières, ni Espoumel et son cotel, ni Caudebec et sa dague ne
me firent tant recroqueviller les bourses en braguette que cette face blanche
entr’aperçue entre les branches noires de l’if, laquelle face paraissait flotter
à une demi-toise du sol.
    Cependant, quand je fus à deux pas,
j’aperçus une forme légère et petite appuyée contre l’arbre et, me ramassant,
je bondis sur elle, et en un clin d’œil la terrassai sans qu’elle luttât en
aucune façon. Je restai ainsi, étendu sur elle, tout soufflant, et par degrés
fort rassuré, car c’était la chaleur d’un corps véritable, et de surcroît
féminin, que je sentais sous moi.
    À ce moment, la lune se dévoilant,
je vis qu’il s’agissait d’une mignote d’une quinzaine d’années, fort pâle, en
effet, de face. Cependant, autant du moins qu’elle me pouvait voir, car j’étais
masqué jusqu’à la bouche, elle m’envisageait de ses grands yeux noirs d’un air
d’adoration qui me plongea dans l’étonnement.
    — Ha ! Maître
Léonard ! dit-elle. Ho grand bouc ! Ho Monseigneur bien-aimé, je
touche enfin au but ! Je vous rencontre selon la prédiction de mon aïeule
en ce cimetière où, depuis un an, je viens toutes les nuits dans l’espoir de me
livrer à votre rut.
    — Mon rut ? dis-je, mais
qui es-tu ?
    — Vous le savez, dit-elle. Pour
vous avoir fidèlement servi en vos ordres infernaux, toute ma famille, hors mon
aïeule et moi-même, a péri dans les flammes du bûcher il y a un an.
    — Mangane ! dis-je.
Ermandine Mangane ! Ils ne t’ont pas brûlée ?
    — Si Monseigneur se ramentevoit,
c’est sur l’ordre de Monseigneur que je contrefis la sourde, la muette, et la
rassottée, et qu’ainsi j’en réchappai.
    — Tu es donc la dernière des
Mangane.
    — Je ne serai pas la dernière,
Monseigneur le grand Bouc, dit-elle, quand vous m’aurez besognée, et mis en moi
votre fruit. Les Mangane renaîtront alors pour être les ministres de votre
culte, et vous servir à jamais.
    Elle rit.
    — Pensez, Monseigneur, que je
vous avais d’abord pris, vous et vos aides, pour des larrons de sépulture, mais
quand vous m’avez sauté dessus, j’ai senti vos griffes sous vos gants.
    Mes griffes ! pensai-je, ô
puissance de l’imagination !
    — Garce, dis-je, ce soir, ce
que tu requiers ne se peut. Reviens demain à la minuit.
    — Ha ! dit-elle, je ne
doute plus. C’est bien vous Maître Léonard, la prédiction a dit que vous
tâcheriez de m’écarter deux fois.
    — Pars ! dis-je. Je le
veux.
    Et me levant, je la lâchai. Mais
elle s’accrocha à moi avec une force que je n’aurais pas attendue de ses frêles
bras.
    — La prédiction est accomplie, dit-elle
en se serrant contre moi, vous m’avez renvoyé deux fois.
    — Garce, dis-je, par où es-tu
venue ?
    — Par le mur, et par une corde
sur le mur.
    — Et les pièges ?
    — Je les connais.
    — Garce, si j’accède à ta
requête, partiras-tu sans te retourner une seule fois afin de ne rien voir de
nos

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