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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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exhumer
un mort, l’ouvrir et tout ceci en éhontée profanation des lois divines,
s’exposer à un carreau d’arbalète, voire au déshonneur sur échafaud public,
voilà qui donnait à cogiter. Sans compter que le séjour des morts est lieu à
nos sens répugnant, frontières indécises entre l’Enfer et le Ciel, et plus
proche du premier, étant parcouru par les âmes errantes, les succubes qui les
pourchassent, les feux follets, les mortelles vapeurs et exhalaisons de soufre,
les mandragores nées de la semence des pendus, les poisons et les venins des
corps pourrissants et en outre, hanté, si l’on croyait la réputation du
cimetière Saint-Denis, par les sorcières et leurs suppôts lesquels, sur les
tombes, dansaient à la lune et paillardaient avec le Diable.
    Et combien peu, pour être franc,
m’agradait aussi la complicité de cet abbé fol aux yeux révulsés, au corps
secoué par je ne sais quel démon et dont la démente négation de Dieu paraissait
appeler à grands cris le bûcher.
    — Ha, dis-je à voix basse, mais
ma voix monta tandis que peu à peu je m’exaltais, quelle dure défiance nous
envoie ici la fortune ! Compains, cette défiance, relevons-la ! Et ce
gant ramassons ! Rarissime est l’occasion : il faut la saisir par ses
beaux cheveux. Assis que nous sommes dans le théâtre anatomique derrière les
docteurs, les licenciés et les bacheliers, que voyons-nous des dissections ?
Les gestes du prosecteur commentés du haut de la chaire par le professeur
royal ! Des gestes et rien de plus. Mais distinguons-nous le petit et le
délié dans la géographie du corps humain ? Distinguons-nous les veines,
les nerfs, les ligaments ? Palpons-nous les organes ? En
connaissons-nous le volume, le poids, la consistance, les ramifications ?
Compains, si nous osons demain, nous aurons à nous, à les toucher, deux corps
pour ouvrir et pour explorer, l’un mâle, l’autre femelle. C’est merveille !
Deux corps, là, toute une nuit sans régent, sans prosecteur et sans docteur,
mais bien à nous, sous notre œil, sous notre main, sous notre scalpel !
Ha ! Compains, nous allons davantage avancer en cette seule nuit dans le
médical savoir qu’en toute une année d’études !
    À quoi Carajac et Merdanson
acquiescèrent et topèrent : je les avais persuadés, et d’un commun et
tacite accord, devenant le chef de l’entreprise, j’en organisai les détails.
    Ha ! Lecteur, qui nous eût vus
le lendemain soir, à la nuitée, tous trois vêtus et masqués de noir, le cheveu
caché et sans fraise (laquelle aurait trop brillé dans l’ombre), le pistolet à
la ceinture, le braquemart au flanc, et chargés des chandelles, des cordes, des
bâtons et des flassadas, Merdanson portant la lanterne sourde, mais celle-ci
non allumée, tous trois au surplus marchant à quelques toises l’un de l’autre
et à pas feutrés – n’eût pas pensé assurément que nous allions faire œuvre
pie.
    Long fut le chemin de Montpellier à
la paroisse Saint-Denis en Montpellieret. Mais à la porte de la ville, le
gardien, qui paraissait pris de vin, nous regarda à peine et sans mot dire. Au
toquement de Carajac et au murmure de son nom, Cabassus ouvrit, sur nous
referma l’huis, et dit de sa voix de fausset, l’œil roulant dans l’orbite :
    — Mes frères, prenez place et
mangez de ce lapin : il n’est des pires. Le clapier d’un voisin en a fait
les frais. Il vous faut l’estomac remplir pour le dur labour qui vous espère.
Carajac, ton flacon que je l’ouvre ! Mes frères, mangez et buvez. Ceci
n’est point ma chair – et ce bon vin des Corbières, pas davantage mon
sang. Tout cela est matière, Dieu merci – si du moins je peux remercier
l’inexistant. Car la matière est la matière. Elle est. C’est tout ce que
l’homme en peut dire. Comme l’enseigne mon Maître Héraclite, le monde est un,
et nul Dieu ne l’a créé.
    Mais personne ne voulant disputer,
personne ne répondit. Le lapin, combien qu’il fût savoureux, nous dégondait
l’estomac. Nous avions le cœur entre nos dents, même le vin ne nous remuait
pas. Dans cette salle si mesquine, si basse et si obscure qu’elle ressemblait
déjà à une tombe, nous mangions du bout du bec ce morne repas mortuaire, et les
criards et continuels blasphèmes de notre hôte ne le rendaient pas plus
digeste.
    — Vos huguenots, disait Cabassus
de sa voix tant aiguë et perçante qu a elle seule, elle torturait l’ouïe,

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