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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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scalpel ?
    — Cela ne se peut, dis-je. Elle
est impalpable.
    — Si elle est impalpable, dit
Cabassus, tressautant sur son escabelle, et retirant de sa bouche l’aile de
poule qu’il était en train de gloutir, d’où vient qu’on sache qu’elle est là ?
    — Parce que la tradition
l’enseigne, dit Merdanson.
    — Ha ! dit Cabassus, vous
autres huguenots vous avez rejeté, au nom du libre examen, bon nombre
d’articles de foi que la tradition enseignait. Mais libre, votre examen ne le
fut pas assez. Vous vous êtes arrêtés en route, comme terrifiés de votre propre
audace. En progressant plus outre, vous auriez, comme moi, tout nié !
    Là-dessus, il remit l’aile de poule
en gueule, et la mâcha, os compris, avec un bruit de broiement qui nous laissa
béants.
    Le feu ayant baissé dans l’âtre, la
petite salle voûtée et enfumée paraissait aussi noire que l’entrée de l’Enfer,
n’étant éclairée que par la chandelle que Cabassus avait posée sur le cul d’un
chaudron au milieu de la table vermoulue. Je ne savais que penser de Cabassus.
Et certes, sa mine, ses trémoussements, ses roulements d’yeux et ses
bizarreries lui donnaient l’air d’un fol. Mais quand ce fol raisonnait, encore
que tout ce qu’il disait me parût horrible à ouïr, cependant, on ne se sentait
plus si sage, ni si sûr de soi.
    Autant que la faible lueur de la
chandelle me le permettait, j’envisageai tour à tour Carajac et Merdanson.
Aucun n’avait envie de disputer, le premier par taciturnité et le second, comme
moi, par peur d’avoir le dessous dans la disputation. En outre, combien que
nous commencions à entendre ce pourquoi nous étions là, ni Carajac ni Cabassus
n’avaient encore là-dessus pipé un traître mot.
    — Je ne crois pas non plus, dit
Cabassus, au jugement dernier ni à la résurrection des morts. Pour moi les morts
restent à jamais où nous les enfouissons, leur charnure mangée ne laissant
qu’un squelette et le squelette rongé à son tour, se changeant en poussière,
dont rien ne sort, et pas même ces corps glorieux dont parle l’Église en
son jargon. Mais ce langage n’est qu’illusion, tromperie et fallace. La
poussière n’est que poussière. J’opine donc qu’il est licite pour l’avancement
du vrai savoir d’ouvrir les corps pour apprendre leur géographie, comme vous
autres médecins vous en avez appétit.
    — Monsieur, dit Merdanson, cela
coûtera ?
    — Autant, dit Cabassus d’un air
fier, que la poule que nous avons glouti : Pas un denier. Mes frères en
humanité, reprit-il en se levant, demain après-midi, la paroisse ouvre la terre
à très petits frais pour une ribaude et un orphelin : autant dire que les
tombes ne seront pas creusées profond. Revenez à la nuit avec de longs et
solides bâtons, des cordes, deux flassadas, des chandelles, une lanterne
sourde, vos scalpels et ce qu’il faut de vinaigre pour désinfecter. J’aurai les
pelles. Sachez enfin qu’au cas où vous seriez surpris, votre crime s’appelle
une profanation de sépulture, laquelle est passible de la hart ou des galères.
    — Ventre Saint-Vit !
s’écria Merdanson, vos frères en Jésus-Christ sont-ils armés ?
    — Ils ont une arbalète.
    — Une arbalète !
m’écriai-je, vieille arme, mais léthale !
    — Il fera nuit, dit Cabassus,
et le cimetière n’est plus gardé. Le bruit court que les sorcières, à la
nuitée, y mènent leur sabbat. Cela a suffi pour en écarter les larrons.
    Sans plus de cérémonie, étant homme
de peu de mots quand il ne niait pas Dieu, Cabassus nous poussa dehors, et nous
voilà cheminant dans les ruelles tournoyantes du faubourg du Montpellieret sans
mot piper, ayant grande matière en le pensement.
    Avant que de repasser la porte de la
ville qui ne s’ouvrait qu’après avoir parlé au gardien, Carajac s’arrêta et dit
d’une voix sourde où perçaient le doute et le scrupule :
    — Compains, le
faisons-nous ? Il y a grand péril en l’aventure.
    — Grand et évident, dit
Merdanson. Toutefois, je le ferai si Siorac en est. Par le bren du fœtus Bazin,
je me cuide aussi vaillant que Siorac, mais il a plus de ruse pour se tirer des
mauvais pas.
    Et là-dessus, Carajac et Merdanson
m’envisagèrent et pour autant que je pouvais voir leurs faces, y ayant peu de
lune, et de surcroît voilée, je compris qu’ils attendaient de moi la décision.
Et à vrai dire, lecteur, je n’étais point si chaud. Gratter la terre,

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