En Nos Vertes Années
Et pour votre péché de friandise, qui est
capital aussi, ne l’oubliez point, vous me remettrez céans, en tout abaissement
d’orgueil, les gâteaux que vous gardez dans vos fontes, sans en garder un seul.
Hélas ! Je les lui baillai un à
un ! Mais que ce fût avec humilité et sans grand bouillonnement de bile,
je ne l’affirme point. Et là-dessus, Frère Hyacinthe me donna, fort gravement
et suavement prononcée, mon absolution – bouclier dont je comptais bien me
servir pour détourner les coups dont nous étions menacés.
Certes, l’habit ne fait pas le
moine, et à dire vrai, il ne le défait pas non plus. J’ai connu à Sarlat, au
moment où la peste dévorait tant de monde, des franciscains dont la bure, si
souvent décriée par les nôtres, cachait un cœur évangélique. Évêque, prêtres,
sénéchal, juges, nobles, bourgeois étoffés, et même un des deux consuls, tous
avaient fui la ville aux premières atteintes du mal. Ces franciscains
demeurèrent, et sans relâche apportèrent aux pesteux dans les faubourgs infects
le secours de la religion. Tous y périrent, sauf deux, que mon père libéra des
gueux de la Lendrevie, dans le combat où Marsal le Bigle fut mortellement
navré. Un de ces franciscains, que mon père louait pour son merveilleux
dévouement pendant la contagion, lui fit alors une remarque qui est bien la
plus douce, la plus belle et la plus charitable tombée des lèvres d’un papiste
à l’adresse d’un huguenot : Il lui dit en le remerciant que loin de le
tenir pour hérétique, il préférait penser qu’il était un chrétien égaré dans
une autre voie que la sienne, mais qu’il retrouverait à l’extrémité du chemin.
Je retournai auprès de mon gentil
Samson, qui s’étonnait fort de mes absences, et je lui dis en baissant la
voix – ce dont j’eusse pu me dispenser, pas un des pèlerins à l’entour ne
parlant d’oc – qu’on doutait de sa fièvre lente, et ne pourrait-il point,
pour colorer mes dires, feindre d’être pris tout soudain de faiblesse et se
laisser choir de son Albière au milieu des Normands. Je fus longtemps à le
convaincre, tant il répugnait à cette comédie. Il se soumit pourtant, et
poussant sa jument sur le côté herbu du grand chemin, tomba fort bien et sans
même bosseler son corselet, cependant que son morion, s’échappant de son chef,
roulait à grand fracas sur la route pierreuse entre les pattes des chevaux.
Ceci provoqua une grande émotion, de rires d’abord, de jaseries ensuite, et
enfin de compassion, surtout chez les dames normandes à qui, toutes prudes
qu’elles fussent, la beauté de mon Samson n’avait pas échappé.
— Bonnes gens, dis-je en
démontant et en jetant mes rênes à Miroul, poursuivez, je vous prie. Ce n’est
rien. Mon frère se pâme. Il est fort travaillé de sa fièvre lente.
Mais une grande, belle et blonde
Normande, fort chrétienne et charitable, qui s’appelait, comme je sus plus
tard, Dame Gertrude du Luc, voulut à toutes forces mettre aussi pied à terre
et, s’agenouillant dans l’herbe avec de grands soupirs, saisit Samson à
bras-le-corps avec beaucoup de force et l’installa dans son giron, où la tête
du pauvret se trouva tout soudain nichée au creux d’un opulent parpal. Samson,
les paupières fermées, devint cramoisi, et me détournant, je regardai Miroul,
dont l’œil marron pétillait, tandis que l’œil bleu restait froid.
— Bonne dame, dis-je, vous voyez
comme mon frère est travaillé de sa fièvre. Pouvez-vous lui bailler de votre
gourde ?
— Oui-da ! dit Dame
Gertrude du Luc, et de grand cœur.
Et lui tenant la tête serrée entre
son bras et son parpal, elle le fit boire alors comme elle eût fait d’un enfantelet,
Samson n’osant bouger ni même ouvrir les yeux.
— Il boit, mais ce me semble
qu’il est encore pâmé, dit Gertrude. N’est-ce pas pitié que tombe en faiblesse
un gentilhomme tant joli et bien fait ? Foi de chrétienne, il ressemble au
bel archange saint Michel, qu’on voit sur le vitrail de notre église. C’est
même teint de lait, mêmes cheveux de cuivre, même largeur d’épaules, sans
compter les yeux, qu’il a du plus bel azur quand il les ouvre. J’aurais
vergogne à parler ainsi si votre frère avait sa connaissance, reprit-elle en
rougissant. Mais je ne crois pas qu’il m’oit. N’est-il pas encore bien
pâmé ?
— Il l’est, bonne dame, dis-je,
fronçant le nez pour ne point rire, tant la scène
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