En Nos Vertes Années
sage sous moi, quand je me
mis au botte à botte avec la monture du moine.
— Frère Hyacinthe ! dis-je
d’une voix forte en me penchant vers sa capuche. Vous plairait-il de me
confesser ?
— Eh ? Eh ? Eh ?
dit Frère Hyacinthe sans tourner la tête.
Et de mâchonner un Pater. J’attendis la fin de cette oraison, mais celle-là finie, le moine en enfilant
une autre, je mis la main dans mes fontes, et tirant du torchon un des gâteaux
de la patota, je le lui mis sous le nez.
— Dieu vous le rende, mon fils,
dit Frère Hyacinthe qui, s’en saisissant, l’enfourna dans sa vaste bouche.
Ayant goûté, mâché, retourné sur sa
langue et pressé contre son palais la tartelette, et celle-ci réduite enfin en
délicieuses miettes et avalée. Frère Hyacinthe dit avec un soupir :
— Je le peux, assurément. Notre
Saint Père le Pape a donné à mon ordre en l’an 1256 le pouvoir de confesser
avec l’agrément de Monseigneur l’Évêque, dans les limites du diocèse.
— Frère Hyacinthe, dis-je avec
alarme, ne pouvez-vous confesser hors de votre diocèse ?
— Assurément, je le peux. J’ai
reçu licence de confesser les pèlerins que voici par tous les lieux où ils
vont.
— C’est que pèlerin ne suis.
— Cela n’importe. Vous êtes de
notre troupe, étant le truchement du Baron.
Là-dessus il se tint coi si
longtemps que je le crus endormi, sa capuche me cachant sa face. Cependant, il
reprit :
— Mon fils, j’appartiens au
plus pauvre des ordres mendiants, et n’ai pas dans ma bure un seul sol
vaillant. Ha certes, ce n’est pas moi qui ai belles bottes de cuir en mes
pieds, ni lacs d’or pour fermer ma capuche comme d’aucuns bénédictins que je
pourrais dire.
— Il est de fait, dis-je, que
Frère Antoine paraît fort étoffé.
— Étoffé ! s’écria Frère
Hyacinthe avec une chaleur d’aigreur qui m’étonna. Son abbaye tient enfermé au
plus profond de ses voûtes, et sous porte de fer, un prodigieux trésor :
dix-sept mille quatre cent quarante-trois reliques, dont plusieurs morceaux de
la vraie croix.
Je confesse que je ne compris pas
tout de gob, en ma naïveté, comment cela enrichissait l’abbaye de Frère
Antoine, mais il ne fut que d’écouter.
— Ces reliques, reprit Frère
Hyacinthe, sont montrées une fois l’an, à la Toussaint, aux fidèles, et ceux-ci
se pressent alors comme moutons moutonnant par tous les chemins du diocèse pour
les venir vénérer, cette vénération leur étant d’un grand profit, puisqu’elle
leur vaut, bon an mal an, cent trente mille jours d’indulgence ! À cette
grande somme de jours, mon fils, vous imaginez la grandeur des offrandes !
Je ne pipai mot, indigné en mon for
de ce honteux trafic.
— Pour moi, reprit Frère
Hyacinthe, j’appartiens, comme j’ai dit, à un ordre mendiant. La pauvreté est
donc mon lot. S’il vous plaît que j’ouïsse vos péchés, mon fils, il vous faudra
me bailler un denier de confession.
— Voici ce denier ! dis-je
après avoir fouillé, non sans répugnance, dans mon escarcelle.
— Trois sols ! dit Frère
Hyacinthe en les considérant dans la paume de sa large main. C’est bien petit
pour un fils de Baron. Mon fils, ne lésinez point. Bien donner au confesseur
est gage qu’on se repent déjà. Votre contrition serait-elle imparfaite ?
— Voici deux sols encore, dis-je,
tout dépit que je fusse de me laisser tondre.
— Cela ira, je pense, dit Frère
Hyacinthe. Mon fils, je vous ois.
Mais n’est-ce pas, à la vérité, une
chose bien merveilleuse que, rejetant, comme tout huguenot, la confession
auriculaire, et tenant, au surplus, ce moine, qui, d’ailleurs, à peine
m’écoutait, en grand déprisement pour son avarice, je lui fis cependant un
récit par le menu de mes péchés, sans en omettre un seul, sans rien atténuer,
mais avec quelque sincérité de cœur, et crainte aussi d’avoir déplu à Dieu,
comme si j’oubliais en quel temporel dessein et selon quelle utile ruse je lui
faisais cette récitation. Ha ! Pensai-je après coup, les papistes ont-ils
raison au moins en ceci, que c’est moins le confesseur qui compte que la
confession ?
— Mon fils, dit Frère
Hyacinthe, quand enfin j’eus fini, devant que de vous absoudre, il me faut vous
donner pénitence, car vous avez péché par la chair en l’auberge de Castelnau
d’Ary, et aussi par la langue et le palais. Pour votre péché de luxure, vous réciterez
dix Pater et dix Ave.
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