En Nos Vertes Années
boursouflées et mordit. Quoi
fait, elle le serra dans sa ceinture et sortant un chapelet de dessous sa
chemise pourpre, elle baissa le nez et se mit à l’égrener, mais qu’elle priât
ou fît semblant, Dieu seul le sait.
Je tournai mon Accla et la fis
repasser à côté de ma pauvre Fontanette.
— Fontanette, dis-je, je ne
t’ai accusée mie de m’avoir larronné ! Me crois-tu à présent ?
— Hélas, je vous crois !
— Après ton congédiement, je
t’ai cherchée partout !
— Hélas, je le sais !
J’étais à Grabels.
— À Grabels !
Fontanette ! Mais c’est tout près de Montpellier ! J’y suis passé dix
fois ! Et à tous échos clamant ton nom !
— Je le sais. J’avais donné le
mot partout pour qu’on dise qu’on ne m’y connaissait point.
— Ha, Fontanette ! En moi
tu n’avais pas fiance, et tu croyais Dame Rachel !
Sur quoi, s’accoisant, elle
m’envisagea d’une mine à me tordre le cœur, les larmes lui coulant sur les
joues.
— Et qu’as-tu fait à
Grabels ?
— J’étais servante dans un mas
dont le maître m’a engrossée, m’ayant promis mariage.
— Tu n’eusses pas dû céder,
dis-je, sachant que je disais mal, mais quelque jalousie peut-être me poussant.
— Ha, moussu ! dit-elle,
tournant vers moi sa douloureuse face et me lançant un regard de reproche qui
me transperça. Est-ce bien vous qui dites cela ! Vous qui m’avez mise le
premier au montoir !
À quoi, fort vergogné, je baissai la
tête, et fus un moment sans trouver salive pour parler, tant me poignait ma
conscience.
— Fontanette, dis-je à la fin,
toi si bonne et si piteuse, comment as-tu pu en venir à occire ton
enfantelet ?
— Ha, moussu ! De force
forcée ! Et bien contre mon cœur ! Le maître me l’a commandé, me
menaçant, si je ne le faisais, de me renvoyer sans un sol sur les chemins du
monde ! Et comment alors aurais-je nourri mon petit, n’ayant pas même un
croûton à gloutir ? Ha, moussu ! L’horrible remembrance que je me
ramentevois ! La minute que je fus pour poser, la mère du maître, ne voulant
pas ouïr mes cris, me poussa dans la bergerie sur même paille que brebis, et
c’est là que je mis bas, sans âme au monde pour m’aider et m’aimer. Et quand le
pitchoune fut là, me pensant que de toute guise il irait mourir avec moi sur
les chemins, j’appuyai ma main sur son nez et sa bouche, et quand j’ôtai ma
main, il ne bougeait mie !
Là-dessus, ses larmes coulant de
plus belle sur sa pauvre face, et secouée de gros sanglots, Fontanette dit
d’une voix entrecoupée.
— Ha, moussu ! C’est gros
péché que j’ai commis là ! Et c’est bonne justice qu’on me pende ! Et
puisse la Vierge Marie requérir mon pardon de son divin fils ! Cependant,
j’ai grande peur et frayeur de mourir, surtout par la corde.
Et la voyant trembler de tous ses
membres à ce sinistre pensement, chaque pas de sa mule la rapprochant un peu
plus du gibet, je voulus, pour occuper son esprit, la questionner plus outre.
— Que fis-tu du petit corps,
Fontanette ?
— Je le jetai dans un puits
asséché, mais la Grenue me vit…
— Qui est la Grenue ?
— Une voisine, qui a grand
appétit à marier mon maître. La Grenue me dénonça au curé de Grabels, lequel me
manda en son presbytère. Et là, seul avec moi, il me promit le silence, si je
consentais à me laisser par lui besogner. Mais point ne voulus, ayant horreur
de pécher encore, et si vilainement, et avec un homme de Dieu. Le curé alors
écrivit une belle lettre en latin aux juges de Montpellier. Et un mois plus
tard, les archers vinrent m’arrêter à Grabels et me serrer dans la geôle de la
ville.
Ha, Fontanette ! pensai-je,
quelle chaîne de gens s’est tristement soudée, maillon par maillon, pour forger
ta male fortune. Moi-même, hélas, Dame Rachel, ton maître, la Grenue et le curé
de Grabels, que Dieu nous pardonne le mal que nous t’avons fait !
— Moussu, dit-elle, pleurant et
tremblant, j’ai grand épouvantement, non tant de la mort, mais d’être pendue
par le col avant de perdre vent et haleine. Car on m’a dit en la geôle que
c’est un supplice fort long et très affreux.
— Monsieur de Siorac, dit tout
soudain Cossolat derrière moi sans que je l’eusse entendu venir, il n’est pas
licite de parler à la condamnée. Commère, poursuivit-il, tourné, fort
sourcillant, vers la Vignogoule, comment se fait-il que tu n’aies
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