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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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larronnés.
    — Et tout ce temps que je te
cherchais, tu étais à Grabels ! À deux pas de galop de mon Accla, tu te
rongeais de ma prétendue injustice ! Ha, Fontanette, les mots, les mots,
les mots ! Quel poison ils ont versé en toi, afin de nous séparer !
    — Moussu, dit-elle, ne parlons
plus de ces choses affreuses. Vous êtes là. Je ne peux vous toucher, ayant les
mains liées derrière le dos, mais plaise à vous, moussu, de me mettre la main
sur mon épaule, j’en serai contente.
    Je fis comme elle avait dit, et à
peine mes doigts se posèrent sur elle qu’inclinant son long cou, elle plaça sur
eux sa joue, ce qui me fit même effet que si un oiseau avait palpité en mourant
dans le creux de ma main.
    Le chemin montait fort, mules et
chevaux se mirent au pas, d’autant qu’il faisait chaud. Au sommet de la montée,
mon sang se glaça tout soudain, et je vis à quelques toises, dans une
oliveraie, à notre dextre, le gibet, et à côté de lui, immobile sur son cheval,
Cossolat qui nous attendait.
    — Ha ! dit Fontanette.
Nous y voilà ! Moussu, ne vous ai-je retrouvé que pour si tôt vous
perdre ?
    À quoi elle ajouta d’une voix tant
menue, basse et piteuse qu’elle me tordit le cœur :
    — J’ai dix-huit ans ! Que
brève fut ma vie !
    Ha, Christ ! Ce fut comme si un
couvercle d’airain se refermait sur moi ! Christ ! Pourrai-je jamais
oublier ce moment ! Ce gibet, ces archers, cet ignoble bourreau, et ma
Fontanette que, sous mes yeux, on m’allait occire ! Mon Dieu, comment
peux-je avoir de présent la force de dire la suite, chaque mot que j’écris
étant comme un lambeau que j’arrache, trente ans plus tard, à mon inguérissable
plaie !
    Dès qu’il me vit, Cossolat vint
coller sa monture à la mienne, et tout soudain je me vis séparé de Fontanette
et environné d’archers qui de l’œil ne me quittaient pas, l’arquebuse sous le
bras et la mèche allumée. Pour moi, le nœud de la gorge serré, et comme
paralysé par l’excès de mon pâtiment, j’envisageais toute chose comme dans une
brume, et cependant, avec une attention extrême. Je vis Vignogoule descendre de
son bidet, délier une escabelle qu’il portait derrière lui sur la croupe de sa
bête, et dessus monté, arranger sur les bois une corde de chanvre usée et
noircie. Quoi fait, plaçant l’escabelle fort exactement au-dessous du nœud
coulant, il commanda à sa femme de s’y asseoir, ce qui m’étonna, n’entendant
pas le rôle qu’il lui destinait. Vignogoule fit tout ceci la mine fort
rechignée, l’œil triste, la tête basse et les gestes si lents et si mois qu’on
eût dit une méduse flottant entre deux eaux.
    Sa femme assise sur l’escabelle, il
se traîna jusqu’au cheval de Cossolat, les tétins et la bedondaine à chaque pas
tressautant, et lui demanda de sa voix douce et fluette s’il lui commandait de
poursuivre. À quoi Cossolat, cramoisi et dressé sur ses étriers, cria d’une
voix forte :
    — Poursuis, Tudieu !
Poursuis ! Et fais vite !
    À quoi il ajouta en oc :
    — Aviat ! Aviat !
    — Capitaine, dit Vignogoule,
mon art répugne à la précipitation. Ouvrage lent, ouvrage bien fait.
    — Par les septante diables de
l’enfer ! hurla Cossolat. Vaque ! Vaque ! Et sans tant
languir ! Ou je te reconduirai à coups de plat d’épée sur les épaules tout
le chemin d’ici à Montpellier !
    Sa face de boue impassible,
Vignogoule, branlant comme gélatine, se traîna vers la Fontanette, et tandis
qu’il déliait, avec la même désespérante lenteur, la cordelette qui l’attachait
au dosseret de sa selle et à la sangle de sa mule, son œil tout à coup
s’exorbita, et son souffle devint rauque et bruyant. Je tressaillis, comme
éveillé de ma transe, et avançai la main vers un de mes pistolets. Mais
Cossolat, me posant la dextre sur le bras, dit à voix basse :
    — Ta promesse, Pierre.
    Et tourné vers le bourreau, il hurla
derechef en oc :
    — Aviat ! Aviat !
    Je retombai en mon hébétude. Et
Vignogoule, saisissant alors ma Fontanette par la taille, la souleva comme
plume de dessus sa mule et la posa à terre. Toujours haletant et le blanc de
l’œil sorti de la paupière, il la poussa du plat de la main vers le gibet. Elle
me tournait alors le dos, mais comme il lui commandait de s’asseoir sur les
genoux de sa femme, à l’aplomb du nœud coulant, elle pivota sur elle-même pour
lui obéir, et dans le mouvement qu’elle fit, son

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