Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
quoi il répondit plus
civilement que je n’eusse pensé, se reprochant peut-être sa raideur de la
veille.
    — Monsieur de Siorac, dit-il,
que désirez-vous ?
    — Passer, Monsieur, dis-je,
avec votre permission !
    — Soldats, dit Cossolat,
laissez passer M. de Siorac. Il est plus pressé que nous.
    Les archers se rangeant alors sur le
côté droit de la route, je mis d’abord au trot, mais voyant devant moi le dos
de la pauvrette qu’on menait pendre, je revins au pas afin de l’envisager, tant
par la compassion que j’avais d’elle que parce que le gardien avait loué sa
beauté. J’hésitais cependant à la dépasser, ayant quelque vergogne de ma
curiosité. Et tandis que je balançais, j’observai qu’elle était montée sur une
mule et ligotée sur le haut dosseret d’une selle mauresque, les bras passés en
arrière dudit dosseret, les mains liées, et le lien passant autour du ventre de
sa monture. Une affreuse commère, monstrueusement grosse et de mine basse et
repoussante, tenait sa mule par la bride, étant elle-même montée sur une
haridelle qui devait recevoir plus de coups que d’avoine, à en juger par sa
condition. En tête, chevauchait sur un bidet étique, écrasé par son énorme
poids, Vignogoule, vêtu de la longue chemise pourpre qu’il revêtait pour les
exécutions. Mais de juge aucun, et je n’en fus pas autrement étonné, le
Président, je gage, n’allant point se déranger si matin pour des pendaisons de
cette sorte, qui étaient tant fréquentes et, à ses yeux, de si petite
conséquence.
    De dos, je trouvais bonne tournure à
la pauvre mignote, encore qu’elle ne fût vêtue que d’une chemise grise et
déchirée et que son cheveu fût coupé court pour que la corde lui serrât le cou
sans traverses. Et me mettant enfin à sa hauteur et au botte à botte avec elle,
je me penchai pour l’envisager davantage. Mais le mouvement que je fis attirant
son attention, la pauvrette tourna la tête vers moi et poussa un grand cri. Et
béant, le sang tout soudain se glaçant dans mon cœur, je reconnus Fontanette.
    — Fontanette, dis-je, le nœud
de la gorge m’étouffant, est-ce bien toi que je vois ainsi accommodée ? Et
comment en es-tu venue là, toi, si bravette ?
    — Ha, mon noble moussu !
dit-elle. C’est vous qui me dites cela ! Vous qui m’avez fait chasser de
l’apothicairerie en m’accusant faussement de vous avoir larronné !
    — Moi ? criai-je. Mais qui
t’a dit ça ?
    — Dame Rachel.
    — La vipère en a menti, je le
jure sur mon salut !
    — Moussu, dit la Vignogoule, la
condamnée est pour être pendue, et il n’est permis à personne de jaser avec
elle.
    J’envisageais la Vignogoule avec
autant de répulsion que si j’eusse vu cent crapauds mis en tas. Tout en sa face
était d’une vilité à faire peur, comme si le venin dont sa cervelle était
travaillée avait corrompu et tordu ses traits, l’œil étant bigle, chassieux,
tombant, le nez tordu et s’étalant en sa base, les lèvres fermées l’une sur
l’autre comme la cicatrice rougeâtre et boursouflée d’une plaie, la joue et le
menton grisâtres, poilus et semés de pustules – pour ne rien dire du corps
informe sur lequel reposait ce chef hideux.
    Je fis passer mon Accla derrière la
mule où était liée ma pauvre Fontanette et vins me mettre à la dextre de la
Vignogoule.
    — Commère, dis-je, dix sols
pour toi si tu fermes l’ouïe.
    — Moussu, dit la Vignogoule,
son petit œil dur se mettant à briller, dès le moment que la condamnée est
remise ès mains de mon mari, tout est à lui : sa vêture, son corps, ses
cinq sens et son souffle.
    — Commère, dis-je, vingt sols
pour trois minutes.
    — Mon noble moussu, dit la
Vignogoule, fût-ce pour trois minutes, je ne peux rien vendre, ni même prêter,
de la condamnée : ni son oreille ni son souffle.
    — Commère, dis-je, quarante
sols.
    — Mon noble moussu, dit la
Vignogoule, vous m’avez ouïe.
    — Garce, dis-je, sourcillant et
lui lançant un regard terrible, un écu d’or pour ce que je requiers, ou je te
passe mon épée à travers-les tripes.
    À cette menace, dont je ne saurais
dire à ce jour si je ne l’aurais pas mise à exécution, tant j’étais dépit et
courroux, la Vignogoule, si tentée qu’elle fût de hausser l’enchère, n’osant ni
m’affronter ni disputer plus outre, sans mot piper me tendit la main. J’y mis
un écu qu’incontinent elle porta à ses lèvres

Weitere Kostenlose Bücher