En Nos Vertes Années
rien
interdit ?
— Capitaine, dit la Vignogoule,
la paupière hypocrite, je récitais des prières pour la pauvrette, je n’ai rien
ouï.
— Oui-da ! J’ai autant
fiance en ta compassion que dans le croc d’une vipère ! Je te connais,
garce ! À poignet bien graissé, oreille sourde ! Monsieur de Siorac,
un mot, je vous prie, en particulier. Piquons !
Nous piquâmes, et ayant mis quelque
distance entre nos chevaux et le sinistre cortège, Cossolat me dit :
— Je n’ignore pas ce que fut
cette garce pour vous. Et le Présidial, moins encore. Or, sachez-le, j’ai tout
fait pour que son exécution soit remise à demain, afin d’éviter cette
rencontre. Mais le Présidial en a décidé autrement. Et c’est pourquoi mes
archers sont si nombreux. D’aucuns des juges craignent, et d’autres, en
revanche, espèrent, vous sachant si haut à la main, que vous commettrez
derechef quelque folie.
— C’est donc un piège ?
— Assurément. Et j’en suis la
mâchoire.
— Je n’y tomberai point. Merci
de m’avoir prévenu.
— Donc, point
d’arquebusade ? dit Cossolat, en se tournant sur sa selle pour m’envisager
d’œil à œil.
— Ni de pistoletade. Ni d’arme
blanche. Cependant, j’aimerais que vous m’accordiez de parler seul au bourreau.
— Cela ne se peut, dit Cossolat
d’un ton bref. Le seul qui puisse ici s’adresser à Vignogoule, c’est moi.
— Monsieur, dis-je en avalant
ma salive, vous me réduisez aux actes désespérés que vous auriez voulu éviter.
À quoi, Cossolat, s’accoisant,
m’envisagea et me vit la mine très résolue, encore que je le fusse assez peu en
mon for, car je ne pouvais rêver d’affronter un peloton d’archers, sans
beaucoup d’aide à attendre de Miroul, fort occupé avec ses deux arabes, et
moins encore de mon Samson. Et pouvais-je, au reste, aventurer leurs vies comme
j’étais prêt à risquer la mienne ?
— Monsieur de Siorac, dit
Cossolat, si vous me promettez de renoncer aux actes dont vous parlez, je
pourrais devancer le cortège pour reconnaître le chemin, et ce que vous direz,
pendant cette courte absence, à toute personne de votre choix, n’est assurément
pas mon affaire.
— Capitaine, dis-je, c’est
promis.
Là-dessus, il piqua et partit sur le
chemin, et je m’en retournai, seul, joindre le cortège.
— Vignogoule, dis-je en me
mettant au botte à botte avec lui, non sans répugnance pour son odieuse
contenance et l’odeur qui émanait de lui. Un mot avec toi.
— Moussu, dit le bourreau,
d’une voix fort douce et m’envisageant de côté de son œil bleu délavé, lequel
disparaissait presque dans les plis de sa grasse face, vous ne devez point me
parler.
— Un mot, cependant.
— Moussu, je ne vous ois point,
dit-il en détournant pieusement la tête.
— Cinq écus pour toi, si avant
que de passer à la pauvrette la corde au cou, tu lui appuyés du pouce sur l’os
de la gorge et le brises. Ainsi, elle mourra tout soudain et tu hisseras une
morte au gibet.
— Moussu, cela ne se peut. Le
juge ne l’a pas commandé.
— Dix écus.
— Moussu, si je le fais sans
être commandé, je perds ma place.
— Qui le saura ? Ma voix
ne porte point jusqu’à l’oreille du capitaine.
— Moussu, j’ai ma conscience.
— Quinze écus.
— Moussu, chacun a ses
faiblesses, dit Vignogoule, l’œil baissé et faisant sa chattemite. Pour moi,
j’ai grande commodité à voir le condamné s’étrangler lentement au bout d’une
corde.
À ouïr cette odieuse parole, je fus
quasi hors de mes sens et m’écriai :
— Vingt écus, vilain, pour
conforter ta vilaine âme !
— Moussu, dit Vignogoule avec
une mine merveilleusement fausse, mon âme n’est point tant laide. Ce que j’en
ai dit, c’est par l’effet de la grande amour que j’ai pour mon état. En outre,
vingt écus est somme bien petite au regard à l’amitié que vous semblez pour la garce
nourrir.
À cela, qui me parut tant bas et vil
qu’à peu que le cœur me soulevât, je décidai que l’or n’y suffirait pas, et que
je devais poigner le misérable et lui faire sentir le fer.
— Vilain, dis-je, sourcillant
et la voix fort rude, me connais-tu ?
— Moussu, dit Vignogoule, l’œil
baissé et tout ensemble servile et menaçant. Qui ne vous connaît ? Et
n’ai-je pas failli vous connaître de fort près ? On dit que vous
défouissez les morts pour les découper. On dit aussi que c’est vous qui
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