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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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avec autant de tendres soins qu’ils avaient mis de
rudesse, une demi-heure plus tôt, à le jeter sur le pavé dans la cour de
l’Évêché. Après quoi, et se faisant encore plus petits, ils furent fort
contents de s’en aller avec nous, craignant que Bouillargues tournât contre eux
le courroux que, mi-pleurant, mi-rugissant, il continuait d’exhaler contre
Robert Aymée. Et moi, quittant enfin le capitaine, non sans d’ultimes
embrassements, je partis en m’étonnant que ce renard eût, après tout, une sorte
de cœur, encore qu’il ne battît, comme il arrive souvent, que pour les membres
de sa famille, les autres hommes étant comme rejetés hors de la commune
humanité.
    À peine, cependant, avais-je
descendu les degrés de son logis que, me ravisant, je revins sur mes pas,
trouvai le capitaine Bouillargues assis au chevet du navré, et le tirant à
part, lui dis à l’oreille :
    — Capitaine, on a arrêté
Bernard d’Elbène, l’Évêque de Nismes. Sera-t-il aussi dépêché ? N’a-t-on
pas eu assez de sang ?
    À quoi Bouillargues baissa l’œil et
dit d’un air merveilleusement faux :
    — Pour moi, je n’ai pas
commandé qu’on le dépêche, et j’eusse mille fois préféré le tenir en otage et
en exiger rançon (en quoi sans doute il disait vrai). Mais je ne sais ce que
les Messieurs ont résolu.
    — Capitaine, pardonnez ma
curiosité, dis-je à voix basse. Qui sont donc ces Messieurs dont j’ois céans
tant parler ?
    — Ha, Monsieur de Siorac !
Qui le sait ? dit Bouillargues, fermant un œil et plissant l’autre, de
l’air d’un homme qui le savait fort bien.
    Et derechef me serrant sur son poitrail
d’ours, il me fit encore mille mercis, y ajouta mille protestations de me
toujours servir, et me toquant un petit dans le dos du plat de la main, il s’en
alla.
    On peut penser que je n’étais pas
fort aise de retourner dans la cour de l’Évêché, fût-ce pour y quérir Samson et
Miroul, car en mon imagination, ces torches, ce pavé luisant de sang, ces cris,
ces corps qu’on dépouillait, ce puits où on jetait pêle-mêle les morts et les
mourants me peignaient une image horrible que j’eusse voulu n’avoir jamais
envisagée.
    Comme plein de ce triste pensement
je cheminais sans mot piper, un des soldats qui avaient failli occire Pierre
Journet, me tirant un petit par la manche, me rendit merci d’avoir dit à
Bouillargues que c’était Robert Aymée qui avait navré son frère de lait. Je lui
répondis que je n’avais pas voulu que Bouillargues le daguât sur l’heure, non
plus que son compagnon, mais que s’ils me voulaient remercier, ils mettraient
fin à leurs meurtreries et rentreraient chacun en son logis. Il me le promit,
mais s’excusa pourtant de retourner avec moi à l’Évêché, pour ce qu’ils y
avaient caché leur picorée, laquelle ils ne voulaient pas perdre, étant tous
deux tanneurs de leur état, mais depuis plus de six mois désoccupés, et voulant
vendre la vêture qu’ils avaient ôtée aux papistes pour apporter un peu de pain
à leurs garces et pitchounes, lesquels étaient maigres comme roues de
charrette, ayant si peu à gloutir, et depuis si longtemps. Je demandai à
Guillaume (c’était son nom, l’autre soldat s’appelant Louis, mais celui-là coi
comme carpe) s’ils avaient pécunes en leur picorée.
    — Hélas, non, moussu, pas une
piécette ! Les ceux qui les amènent de la maison de ville les prennent
toutes, ainsi que les bagues et bijoux, et ne nous laissent que la
vêture !
    Quoi oyant, et touché de ce qu’il
m’avait dit sur leurs garces et pitchounes, et entendant bien qu’ils n’avaient
agi que sur le commandement qu’on leur avait faut, et par l’aigre nécessité qui
les poignait, je leur donnai à chacun un écu, lequel ils reçurent, l’un
toujours muet, mais de joie cramoisi, et l’autre avec des remerciements à
l’infini. Car celui-là (celui qui se nommait Guillaume) était bien fendu de
gueule, et sautant et caressant, s’affectionnait de moi comme chien berger et
se serait volontiers à ma fortune attaché, si j’avais voulu. Et moi, voyant
qu’Anicet montrait quelque humeur à me voir si ployable avec nos anciens
ennemis, je lui baillai aussi un écu, qu’il refusa en premier, mais que sur mon
insistance il finit par accepter, disant pourtant, non sans quelque petite
piaffe, qu’il n’était point, lui, désoccupé, et vivait de son état, encore que
chichement.
    Cependant, le jour

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