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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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s’étant gorgés de tant de sang, le dégoût, à la longue, leur en était
venu – ou la fatigue, ou peut-être le sentiment de l’affreuse inutilité de
ces meurtreries.
    Il survint alors, tandis que la nuit
blanchissait, un incident qui me frappa fortement l’esprit, parce qu’il me
redonna quelque fiance en la nature de l’homme que j’envisageais jusque-là sous
son jour le plus vil. Mais à être témoin de ce que je vais conter, je respirai
comme une bouffée d’air pur, et me laissai persuader qu’il y a moins de
méchantes gens que de méchantes pensées dont celle-ci – peut-être la pire
de toutes – qu’il n’est pas de mauvais moyen pour avancer ce qu’on tient
pour la vraie religion. Cependant, pour peu que recule cette néfaste idée,
cause de tous nos maux, les semences de la bénignité se retrouvent dans le cœur
de presque tous les hommes comme les étincelles du feu dans un silex : il
suffit de peu de chose pour les en faire sortir.
    Parmi les exécuteurs, j’avais
observé un drole d’une vingtaine d’années, fort assez et bien découplé, lequel,
autant que j’en pouvais juger à la lumière des torches, n’avait point mauvaise
face, et qui semblait tuer plus par devoir que par goût, sans insulter mie ses
victimes et sains les dépouiller non plus, laissant sa part de picorée à ceux
qui en étaient friands. Or, il se trouva que ce gojat, en raison d’une
lassitude à occire qui tout soudain le saisit, vint s’adosser au mur à côté de
nous, son épée sanglante à la main, et dit avec un soupir :
    — Ha, compagnons ! Nous
tuons et nous tuons ! Sont-ce là nos belles évangiles ?
    À quoi, la prudence me désertant,
malgré que Miroul me serrât fort la main, je ne pus m’empêcher de dire :
    — Assurément non.
    Le drole tourna la tête vers moi
pour m’envisager mieux, comme étonné de ma réponse que, pourtant, il eût dû
attendre, puisqu’elle était enclose en germe dans sa question.
    — Vous n’avez donc point
tué ? dit-il enfin.
    — Nenni, dis-je. Nous sommes
céans pour une autre affaire. Nous attendons le capitaine Bouillargues.
    — Ha, moussu ! dit le
gojat. Tenez pour sûr qu’il ne viendra point… Le renard est trop finaud pour se
mettre du sang sur les pattes ! Et où il est, je vous dirai, ou plutôt je
vous conduirai, dès que cette vilaine besogne sera finie.
    À cela, je lui fis de grands mercis,
et au bout d’un moment pendant lequel il ne fit rien que soupirer, le drole
reprit :
    — Je me nomme Anicet, j’ai
vingt-trois ans, et de mon état je suis tisserand. Et mieux j’aimerais avoir
labouré toute la nuit à mon métier que d’avoir occis tant de mes semblables.
Passe encore pour Gui Rochette et Quatrebar, qui crachaient feu et flammes
contre nous. Mais Robert Grégoire qui était une sorte bien tranquille de
papiste ! Fallait-il le dépêcher parce qu’il était le frère du
Rochette ?
    — Anicet, dis-je. Et pourquoi
même Rochette et Quatrebar ? Faut-il expédier tous les papistes qui
requièrent contre nous des bûchers ?
    — Je ne sais, moussu. Nos Messieurs
tiennent qu’il faut que nous soyons à Nismes les héritiers des papistes, ou que
les papistes soient les nôtres… Et qu’il faut les tuer avant qu’ils nous tuent.
    — Ha ! dis-je. Je n’aime
pas ce mot « héritier » ! Il sent trop la pécune et la picorée.
    — Moussu, dit Anicet, vous avez
bien raison. Voyez céans ces éhontés dévêtements et fouillements de poches.
Est-ce là la foi de Calvin ?
    Comme il disait, deux soldats
amenèrent, le portant l’un par la tête et l’autre par les pieds, un galapian
qui pouvait avoir vingt ans d’âge et qui portait une large plaie à la cuisse
senestre. Il fut roidement jeté sur le pavé à quelques pas de nous, ce qui le
fit gémir. Mais sans en avoir cure, les deux soldats, avec d’affreux jurons, se
mirent à le dévêtir, ayant sans doute trouvé qu’il était plus facile de le
faire avant qu’après le dépêchement. Cependant, comme on lui quittait une
manche de son pourpoint, le malheureux, dans le mouvement qu’on lui fit faire,
tourna vers nous sa face que les torches éclairèrent à plein.
    — Ventre Saint-Antoine !
s’écria tout soudain Anicet d’une voix troublée. Je ne peux souffrir
cela !
    Et s’avançant, son épée sanglante à
la main, il dit d’une voix forte :
    — Compagnons !
Arrêtez ! Je connais ce drole. Il se nomme Pierre Journet.

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