En Nos Vertes Années
retire incontinent. Je
souperai dans ma chambre.
— Mamie, restez ! dit M.
de Montcalm d’un ton plus doux. Vous me désoleriez en me laissant seul. Vous
savez que j’aime tout de vous, même nos querelles.
— Ha, Monsieur, vous êtes trop
bon ! Je ne suis qu’une sotte embéguinée à vous affronter. Il est bien
vrai que Pierre est trop jeune pour Angelina. Et qu’adviendra-t-il s’il change
d’avis quand il aura fait sa fortune ?
— Oh, je ne crains pas
cela ! J’ai toute fiance en sa parole. C’est un gentilhomme.
— Oh, pour cela, Monsieur, sa
noblesse est moins ancienne que la vôtre. Il y a trois cents ans déjà que votre
ancêtre Dieudonné de Gozon terrassait en combat singulier le dragon de l’île de
Rhodes !
— Assurément ! Mais
comment dépriser une noblesse neuve, quand elle fut, elle aussi, gagnée au
combat comme celle du Baron de Mespech ! En outre, par sa mère, Pierre est
Castelnau et Caumont, qui est vieille famille en Périgord. Et le Baron est réputé
fort riche, quoiqu’un peu chiche face à la mode huguenote.
— Mais Pierre n’est que cadet.
— Et cependant, dit M. de
Montcalm, il abonde en talents qui font croire à son avancement.
— Vous dites vrai, mais ce
n’est pas une affaire de petite conséquence que la différence de religion.
— Ha, Madame ! C’est là
que le bât me blesse ! Encore que Pierre soit si peu zélé qu’on peut
espérer qu’il se convertira.
— Oh, je ne m’en flatterais
pas, si j’étais vous. Il aurait trop peur de déplaire à son père, lequel est
son dieu, à ce qu’il apparaît.
Là-dessus, à mon immense
soulagement, ils quittèrent la salle, me laissant sur mon banc, la proie de
sentiments fort divers, où espérance et désespérance se mêlaient, car je
n’étais, me semblait-il, ni accepté ni rejeté. Cependant, j’eusse été plus
content si M me de Montcalm n’avait pas été faite d’une étoffe si
changeante. Si fort que je m’y efforçasse, je ne pouvais comprendre qu’elle
pût, presque dans le même souffle, servir l’inclination de sa fille et la
desservir, réfutant en second lieu les arguments qu’elle avait alignés en
premier, et détissant en notre défaveur la toile qu’elle avait d’abord si bien
ourdie pour nous.
Cependant, rien ne fut changé dans
l’ordre de notre quotidien, et je pus voir Angelina tout mon saoul, sans jamais
hasarder fût-ce un baiser Ou une pression de main, tant j’eusse été sûr de lui
déplaire, et sans que M me de Montcalm fût davantage présente que par
le passé, étant femme aussi vive et agitée que sa fille était lente, et ne
pouvant demeurer plus d’une demi-heure en même lieu sans avoir grand appétit
d’être ailleurs. Quant à M. de Montcalm, il me montrait fort bonne face, et je
l’entendis dire un jour à Samson, dont il était merveilleusement entiché, qu’il
était bien marri que mon père vînt nous quérir : il nous aurait volontiers
gardés tout l’hiver avec lui.
Hélas, cela ne se pouvait. J’étais
en sursis et les jours, pour suaves qu’ils fussent, coulaient de présent trop
vite, alors que ceux de ma guérison avaient été si longs. Mon père arriva à la
mi-novembre, suivi de nos cousins Siorac, du Gascon Cabusse, et de Jonas, notre
carrier, tous armés en guerre, la carrure terrible et le cuir tanné.
Ha, lecteur ! Quelle folle
brassée ce fut ! Le moment que mon père démonta, je fus contre son cœur,
et comme il m’y serra, son œil bleu brillant de joie ! Mon gentil frère
Samson sagement attendait son tour, lequel vint avec emportement, car si mon
père m’admirait davantage, il l’aimait tout autant, tout bâtard qu’il fût. Nos
cousins Siorac nous happèrent ensuite, lesquels on pouvait maintenant
distinguer l’un de l’autre, Michel ayant à la joue senestre, depuis le combat
de la Lendrevie, une balafre que Benoît n’avait point. Je ne fis que passer
dans leurs bras. Mon Cabusse me voulut, l’air fier et la moustache hirsute.
— Ha, Cabusse ! dis-je,
retrouvant la parole que l’allégresse, à la vue de mon père, m’avait ôtée. Que
fais-tu céans sans Coulondre Bras-de-Fer ?
— Il a dû rester en son moulin.
Le labour n’y fault point.
— Et ta Cathau ?
— Elle est grosse ! dit
Cabusse d’un ton fort héroïque et sa forte main tirant sur sa moustache.
Et tant je le voyais fidèle à
l’image que j’avais gardée de lui que je l’embrassai
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