En Nos Vertes Années
ma voix s’étranglant, que cela dépend beaucoup de
l’homme. Et qu’il n’agit pas ainsi quand il a du respect.
— Est-ce vrai, mon
Pierre ? dit-elle.
Et poursuivant, après avoir balancé
un moment, elle ajouta :
— Et si je vous baille un
baiser, en exigerez-vous un second ?
— Angelina, dis-je avec
gravité, je voudrai ce que vous voudrez et pas davantage.
Elle me posa alors les deux mains de
chaque côté du col et gardant les bras à demi tendus, et sans me toucher en
aucune partie du corps, elle me posa un baiser sur les lèvres. Et certes, ce
fut là un bien petit, bien court et bien léger poutoune, au regard à tous ceux
que j’avais jusque-là reçus. Et n’est-ce pas merveille qu’il me fit tant
d’effet, et qu’à ce jour encore je m’en ramentevois, tout aussi bien que si
j’étais encore avec Angelina dans cette poivrière par cette douce après-midi
d’automne, ses mains sur les épaules ?
— Mon Pierre, dit-elle, céans
est notre dernière rencontre, et je voudrais que demain, au moment de votre
département, vous ne m’envisagiez pas devant tous, comme cela vous est déjà
arrivé, avec des regards trop parlants.
— Ha, dis-je. Mais comment
faire ? Dois-je l’œil détourner ?
— Non, non ! Je veux que
votre œil me voie une ultime fois et que je le voie aussi.
Cependant, si prudent que je fusse
aux adieux pour obéir à Angelina, mon père ne laissa pas d’apercevoir mon
sentiment, ou peut-être même l’avait-il avant discerné. Car me voyant sur le
chemin qui traversait le bois de Barbentane d’autant plus rêveux et chagrin
qu’on s’éloignait davantage du logis des Montcalm, il m’ordonna de prendre
quelque avance sur notre groupe et de reconnaître la route, l’œil et l’ouïe
vigilants.
Ce que je fis. Mais au bout de
quelques minutes, ouïssant un galop derrière moi, et tournant le col, je vis
mon père s’approcher, me joindre et se mettre au botte à botte.
— Monsieur mon fils, dit-il de
son ton enjoué, son œil bleu cependant me scrutant, je vous vois une belle
bague au petit doigt, que je n’ai point vue hier. Avez-vous engagé votre foi à
quelque demoiselle ?
— Oui, Monsieur mon père, avec
votre permission.
— Ha ! dit Jean de Siorac,
mi-sévère, mi se gaussant. Ma permission ! Celle-là, il me semble que vous
la requérez après coup !
— Monsieur, dis-je, je vous en
fais mes excuses. Vous n’étiez point là. L’événement m’a pressé.
— J’entends bien. Mais vous
êtes fort jeune. Vous êtes cadet. Des pécunes comme sur ma main.
— On attendra que j’aie fait ma
fortune.
— Et pensez-vous que M. et M me de Montcalm vous agréent ?
— Pour cela, je ne sais,
dis-je, ne voulant pas l’instruire de la grande doutance où j’étais.
Là-dessus, sa mine, quoique toujours
un peu gaussante (mais peut-être était-ce là un masque pour celer la vergogne
qu’il trouvait à cet entretien) devint plus réfléchie, comme s’il jaugeait et
pesait l’affaire en ses balances.
— Eh bien, dit-il, à ce que
j’ai pu voir, on prise assez votre père en cette famille, et Samson, et
vous-même. On y a pour vous deux de la gratitude, ce qui est rare. Et quoique
papiste, on ne sème pas, dans cette famille, le sentiment à la volée. On n’y
vit point vaniteusement. On a du cœur. Enfin, ce sont là bonnes gens, ayant
bonnes alliances en Languedoc, et riches assez, combien que leur domaine soit
mal ménagé, et qui n’ont que le défaut de se trop paonner de leur lignée. Mais
après tout, c’est petit péché. Qui sait ce que diront vos arrière-petits-fils
du héros de Calais ? À les entendre, j’aurais pris la ville à moi
seul !
Ici, s’interrompant, et renversant
sa tête en arrière, il se mit à rire à gueule bec. Et comme je l’aimai
alors ! Et pour la façon de se gausser de soi, et pour ce qu’il avait dit
des Montcalm et qui me donnait quelque espoir.
— Quant à vos chances,
reprit-il, la mine à nouveau sérieuse, elles me paraissent, à vous parler
franc, osciller. D’après ce que j’ai pu voir, la fille est tout à fait pour
vous. La mère est à demi pour. Le père, est à demi contre.
— Et vous-même, Monsieur mon
père ?
— Distinguo, dit-il avec une gravité mi-feinte, mi-sérieuse. Distinguo entre
la personne et la religion. Quant à la personne, vous ne pouviez mieux choisir.
Elle est fort belle, mon Pierre. Mais si grande que soit en une garce
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