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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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la
familiarité que j’avais prise. Elle eut l’air, à m’ouïr, saisie de quelque
stupeur. Mais comme elle baissait les yeux, il me fut impossible de déceler en
quelle façon elle prenait ma proposition, car, sa paupière fermée, son visage
n’offrait plus de miroir à son pensement.
    Enfin, elle se leva avec son
accoutumée nonchalance, et me dit, inclinant la tête, mais sans m’envisager
davantage et sans me bailler mon nom :
    — Je vous souhaite le bon soir.
    Le cœur me serra, je crus tout
perdu, tandis qu’elle se dirigeait vers la porte avec une lenteur infinie, mais
comme elle l’atteignait, la dextre sur la poignée, elle se retourna et
par-dessus son épaule, me regardant fort gravement, elle dit, non sans quelque
force et résolution :
    — Monsieur, je vous attendrai.
     
    *
    * *
     
    Qu’Angelina eût confié à sa mère et
cet entretien et son serment, c’est ce que je ne tardai pas d’entendre, étant
assis seul à la tombée du jour sur un banc de pierre dans la cour du château,
lequel banc était adossé à une salle du logis dont la fenêtre était ouverte.
J’entendis des pas dans cette salle, et aux voix qui résonnaient, je reconnus
M. de Montcalm et son épouse, mais comme je ne pouvais distinguer les paroles
qu’ils échangeaient, je ne bougeai point, et quand je voulus branler, c’était
trop tard, ils m’eussent vu me levant, et m’auraient cru maloneste, et d’autant
que tout soudain se rapprochant de la fenêtre devant laquelle j’étais, ils
parlaient de moi, et sur le ton de la disputation la plus vive.
    — Madame, je vous ai déjà dit
mon sentiment. Pierre est trop jeune.
    — Monsieur mon mari, dit M me de Montcalm, la différence d’âge qu’il y a entre eux est fort petite. En outre,
Pierre est un homme, et fort mûr déjà. Angelina, une enfant.
    — Cela se peut. J’ai d’autres
vues pour elle.
    — Le malheur, c’est qu’elle n’y
entre pas.
    — Elle y entrera.
    — Nenni. Vous la connaissez.
Elle est plus acaprissat que chèvre.
    — Fort bien, donc. Le couvent
la rendra plus souple !
    — Le couvent, Monsieur ?
dit M me de Montcalm.
    Et là-dessus, elle rit à gueule bec.
    — Vous riez, Madame ? Vous
vous gaussez, je crois.
    — Monsieur, vous auriez le cœur
de serrer Angelina en geôle ?
    — Et pourquoi non ?
N’est-ce pas là où tant de pères mettent leurs filles, quand elles sont
rebelles et rebéquées ?
    — Ces pères ne sont pas vous.
Vous êtes raffolé de votre fille.
    — Madame, dit M. de Montcalm
après un moment de silence, je ne suis pas tant faible. Je veux être obéi.
    — Qui parle de vous
désobéir ? Mais il faut bien avouer que Pierre est fort aimable.
    — Il l’est, mais sans fortune.
    — Il la fera.
    — S’il n’est pas tué avant. Il
est haut à la main et follement vaillant.
    — Ha, Monsieur !
Allez-vous le lui reprocher ? Sans sa folle vaillance, ni vous, ni moi, ni
votre fille, ne pourrions ce jour d’hui disputer !
    — Madame, dit M. de Montcalm
d’un ton irrité, allez-vous me tympaniser de ce sauvetage tous les jours que
Dieu fait ?
    — Non, Monsieur. Je me repose
sur votre gratitude.
    — Madame, à nouveau, vous vous
gaussez.
    — Point du tout.
    — Madame, sous couleur que
Pierre a aidé à nous sauver la vie, dois-je lui bailler mon château, ma femme,
ma fille, ma maison de Nismes, et ma charge d’officier royal ?
    — Monsieur, il ne vous demande
que votre fille.
    — Il ne l’aura pas ! C’est
un hérétique !
    — Ha, Monsieur, quel grand
mot ! Vous n’êtes point céans à Nismes, Pierre est un huguenot loyaliste,
et fort peu zélé.
    — Zélé ou non, il l’est.
    — Comme l’est toute votre
famille en Montpellier. À ma connaissance, vous êtes le seul Montcalm à être
demeuré dans la foi de vos pères.
    — Je m’en glorifie.
    — Monsieur, vous eussiez pu
rester catholique avec plus de modération. Nous ne serions pas ce jour d’hui
proscrits et notre maison de Nismes, pillée.
    — Madame, qu’entends-je ?
s’écria M. de Montcalm d’une voix courroucée. Avez-vous le front de me
censurer ? Vous mettez-vous du parti de mes ennemis ?
    Ici, il y eut un silence au bout
duquel ayant fait, je gage, quelques petites mines qu’elle savait n’être pas
sans pouvoir sur son mari, M me de Montcalm reprit d’une voix fort
douce :
    — Monsieur mon époux, je suis bien
marrie de vous avoir déplu. Si je vous ai offensé, je me

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