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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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derechef.
    — Moussu, peux-je ? dit
l’herculéen Jonas qui, n’étant point ancien soldat de la frérèche, n’avait pas
avec nous la même familiarité.
    — Ha, Jonas, tu le
demandes ? Comment va la Sarrazine ?
    — Elle est grosse, dit Jonas en
baissant le chef.
    — Et tu en es marri ?
    — Ha, Moussu, tant de garces
meurent en couches que le cœur me défaille à ce pensement.
    — Alors, n’y pense point, dit
mon père qui, cependant, y pensa tout soudain, et son œil se rembrunissant,
pour ce que ma mère était morte ainsi.
    Cependant, M. de Montcalm, prévenu
par ses gens, descendait le perron du logis, les mains tendues.
    — Ha, Baron ! dit-il. Que
j’ai d’aise à voir chez moi le héros de Cérisoles et de Calais !
    — Monsieur de Montcalm, dit mon
père à sa façon enjouée et toujours quelque peu se gaussant de soi, l’héroïque,
là-dedans, c’est d’avoir survécu… Le reste est fortune de guerre. Et je n’avais
affaire, moi, qu’à des hommes, tandis que votre grand ancêtre, Dieudonné de
Gozon, terrassa à lui seul un dragon !
    — Je ne sais si je suis bien
digne de lui, dit M. de Montcalm, ravi que mon père, en son lointain Périgord,
connût son illustre lignée. Mais comme vous savez, j’ai abandonné le métier des
armes pour la charge d’officier royal.
    — Cédant arma togœ [90] dit mon père en se rinçant la bouche de son latin comme du cru d’une
bonne année.
    — Mais dans votre cas, dit M.
de Montcalm, qui prit lui aussi un air fin et friand, on devrait dire : Cédant
arma aratro [91] .
    Là-dessus, ils se sourirent, et
s’étant fait un mutuel hommage qui de la vaillance de l’autre, qui de celle de
son ancêtre, et au surplus, un réciproque échange de leur latin, dont tous deux
se piquaient, j’augurai qu’ils allaient devenir bons amis, étant tous deux, au
surplus, grands chasseurs, et pour dire le vrai, chassant aussi le cotillon,
qui ne courait si vite qu’ils ne le rattrapassent, étant de ces hommes qui
vieillissent peu en ce domaine.
    — Vous avez là un superbe
logis, reprit mon père, continuant le compliment. Et à ce que je vois, fort
bien remparé.
    — Je l’eusse pourtant perdu
sans vos fils, dit M. de Montcalm, lesquels sont aussi beaux qu’ils sont
vaillants !
    Ce qui émut si fort mon père qu’il
rougit et, se trouvant le bec cloué par la force de son émotion, salua M. de
Montcalm sans mot piper. Quoi voyant, notre hôte, dont le grand chagrin était
d’avoir perdu deux fils, comprenant que mon père, dès qu’il sentait un peu trop
vivement la grande amour qu’il avait pour nous, tremblait incontinent que la
mort ne nous ravît à lui, lui mit la main sur le bras et lui dit :
    — M me de Montcalm et
ma fille ont grand appétit à vous voir.
    — Ha, dit mon père, je serais
ravi aussi. Mais vous me voyez armé en guerre, tout botté et crotté. Souffrez
que je fasse quelque toilette avant que d’oser me montrer à d’aussi hautes
dames.
    M. de Montcalm, Samson et moi, nous
attendîmes donc le Baron de Mespech dans la grande salle du logis, tandis qu’à
l’étage, dans sa chambre, il se préparait. Et je dois avouer ici, à risque
qu’on me cuide frivole, que je craignis quelque peu que mon père apparût en
noir, les huguenots, par dépris de l’ostentation, affectionnant cette couleur,
comme bien l’on sait. Mais c’était compter sans la finesse de mon père qui,
avant que de départir de Sarlat, avait fait quelques frais pour paraître à son
avantage, et à l’honneur de ses fils, ce qui, je gage, n’avait pas dû être du
goût de l’oncle Sauveterre, grand épargneur de nos pécunes. Tant est enfin que
lorsqu’il se montra, je fus fort content de lui voir un pourpoint de satin vert
pâle – le vert, auquel il restait fidèle, étant la couleur de ma défunte
mère –, et arborant même une fraise à godrons, au lieu de la petite fraise
huguenote que M me de Joyeuse trouvait si mesquine. M. de Montcalm
fut fort satisfait de cette bonne apparence, et plus encore M me de
Montcalm et Angelina, qui entrèrent au même moment dans la salle, pimplochées à
ravir dans leurs beaux affiquets, Angelina tout sourires, et M me de
Montcalm fort civile, mais réticente assez en son for et curieuse de mon père
qui, selon ses vues, émergeait à peine de l’état de roture. Mon père sentit
fort bien cette nuance et, déployant ses forces, incontinent chargea, enveloppa
M me de Montcalm de

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