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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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quel plausible prétexte colorer sa présence à Pézenas ?
Encore si ce n’était pas un huguenot ! Me voudriez-vous, par surcroît,
ridicule ? »
    Mon gentil cousin, vous pensez bien
que j’ai jeté à mon tour feu et flammes contre ces odieux soupçons. Et vous
imaginez, je pense, avec quelle hauteur j’ai repoussé ces infâmes innuendos sur
l’innocence de notre commerce. Mais hélas, mon petit cousin, ma volonté, pour
vous. Dieu merci, souveraine, est sans force sur le vicomte, lequel s’est fermé
comme une huître. Ha, mon gentil cousin ! Vous, du moins, vous m’obéissez,
et à y bien penser (et j’y pense souvent) il n’y a que vous au monde à qui je
puisse dire : « Mon mignon, faites-moi cela que je veux », en
étant bien assurée que vous ferez mon commandement. Et certes, de ne le pouvoir
dire, vous ne sauriez croire à quel point cela me fault !
    Mon petit cousin, en lisant ceci,
ayez de moi compassion : Vivre à Pézenas, en chétif logis, sans mes dames
d’atour ! Sans mes commodités ! Sans mon petit martyr ! Ha,
c’est trop de malheur ! Plaignez-moi. Ma beauté se fane, je n’y survivrai
point !
    Mon petit cousin, je vous abandonne
le bout de mes doigts.
     
    Éléonore de Joyeuse.
     
    Si tendrement que je
m’affectionnasse encore de M me de Joyeuse, et si peu chattemite que
je fusse de ma complexion, comment répondre à cette lettre, sinon à
l’hypocrite ? Ma plume plaignit M me de Joyeuse, puisqu’elle le
voulait. Et comme elle l’attendait, elle lamenta mon sort qui me retenait si
loin de son indestructible beauté. Mais on peut croire que je ne fus point tant
marri en mon for d’avoir à demeurer à Barbentane, les choses y ayant pris pour
moi la tournure que l’on sait.
    Hélas, les jours que je coulais dans
un ravissement secret – rien n’ayant encore été dit de part et
d’autre – ces jours-là m’étaient comptés. Mon père, à qui j’avais dépêché
un rapport fidèle, et de ce qui était à Nismes survenu, et de ce qui se passait
de présent en Montpellier, m’écrivit qu’il ne voulait point que je retournasse
en cette ville, tant que les nôtres y commettaient les excès que l’on sait,
tuant les prêtres et ne laissant pierre sur pierre des églises. Mais ne
désirant pas non plus que je revinsse à Mespech dans le faible équipage où nous
étions, Samson et moi, il me viendrait quérir lui-même à Barbentane avec les
plus aguerris de nos gens, les chemins étant si peu sûrs en ces temps si
troublés. Cependant, le fait que mon père dût traverser, pour parvenir jusqu’à
nous, les monts d’Auvergne et les monts de Cévennes – voyage fort long et
malaisé – me donnait encore un sursis.
    Angelina écoutant de ses beaux yeux,
autant que de l’ouïe, je n’avais aucune hâte à conclure mon odyssée, d’autant
que notre entretien, avant de venir au propos, commençait par des discours
aimables et gazouillants, où elle me contait le menu de sa vie, où je lui
contais le menu de la mienne, et Samson, Miroul, mon père, l’oncle Sauveterre,
et nos gens. Mais au bout d’une bonne heure où, Barbentane contre Mespech, nous
nous étions baillé nos châteaux l’un à l’autre, elle me priait de renouer mon
histoire à l’endroit où, la veille, je l’avais dénouée.
    Je m’assombris tout soudain, et
restai coi. J’en étais à mon département de Montpellier pour Nismes, quand je
saillis de la ville dans l’allégresse à la pique du jour pour me retrouver au
pied du gibet que l’on sait. Angelina, observant mon trouble et m’en demandant
la raison, je lui dis que ce que j’avais à conter ce jour était si infiniment
triste que je balançai à l’exclure de mon récit, ou à l’y mettre.
    — Ha, me dit-elle, choisissez
plutôt ce dernier parti ! Si quelqu’un de vos personnages mérite notre
compassion, qu’elle ne lui fault du moins en son malheur.
    Ce sentiment me parut si touchant et
si bien accordé à la bénignité de son âme, que je me décidai à lui dire la
lamentable fin de ma pauvre Fontanette, en lui cachant toutefois les liens qui
m’avaient, pour un temps si petit, attaché à elle.
    Angelina était assise sur un
fauteuil à haut dosseret entre les fenêtres à meneaux, caressant sur son genou
son chat Belzebuth, lequel était noir du museau à la queue, celle-ci étant plus
fournie et haut dressée que celle d’un écureuil. Mais ce nom insultait à ce
gentil matou, lequel était aussi

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