Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
ses grâces, et en un tournemain, la conquit.
    Ha, que j’admirais mon père et que
j’eusse voulu être lui ! Et que je suivais donc avec agrément son assaut,
l’œil fin et toujours se gaussant quelque peu, souriant et pourtant fier,
sachant se taire, et sachant jaser, le dos droit et le mouvement vif, et se
déportant si bien en ce premier engagement que ses hôtes, lesquels privés de
leur maison de ville s’ennuyaient fort à la campagne, furent si enchantés de
lui qu’ils eussent voulu le garder tout un mois ! Mais, tout en prodiguant
à M. et M me de Montcalm, en sa périgordine amabilité, d’infinis
compliments, le Baron de Mespech ne consentit à demeurer à Barbentane qu’une
« petite semaine ». Et que petite elle me parut, en effet ! Car
si heureux que je fusse de retrouver mon père, j’étais dans le même temps fort
chagrin de quitter Angelina, et me trouvais un peu dans la même position que
Gargantua, lequel, à la naissance de son fils Pantagruel, sa femme étant morte
en lui donnant le jour, ne savait s’il devait pleurer pour la mort de sa femme,
ou rire pour la joie de son fils.
    La veille du jour fixé pour notre
départ, Angelina, se promenant avec moi sur le chemin de ronde de Barbentane,
s’arrêta et, attachant sur moi son merveilleux regard, retira de son majeur un
petit anneau orné d’une pierre bleue.
    — Mon Pierre, dit-elle avec
gravité. Voici un anneau que j’ai reçu en héritage. S’il va à votre petit
doigt, je veux vous le bailler.
    Je l’essayai : il allait tout à
plein. Angelina parut s’en réjouir comme d’un présage faste, et reprit :
    — Ne le portez que lorsque vous
aurez quitté Barbentane. Mais le portez toujours, et ne portez que lui.
    — Je vous en fais serment,
dis-je, fort ému, et comprenant que par ce don, elle entendait engager et sa
foi et la mienne. Hélas, ajoutai-je, je n’ai rien à vous bailler en échange, ne
portant d’autre bijou que la médaille de Marie qui est à mon col, laquelle m’a
été léguée par ma mère, et que je n’ai jamais quittée.
    — Et bien vous fîtes, dit
Angelina.
    Et souriant de ses fort jolies
lèvres, pleines et remplies, lesquelles annonçaient beaucoup de bénignité et de
friandise à vivre, elle ajouta :
    — J’ai une grâce à requérir de
vous. Entrons dans cette poivrière, et je vous la dirai.
    Cette poivrière était une petite
guérite ronde construite en flanquement de la tour de l’Est et garnie de minces
meurtrières.
    — Nous sommes céans, dit
Angelina, pour ne pas être vus. Car je désire couper une boucle de vos cheveux.
Peux-je, mon Pierre ?
    J’acquiesçai et, tirant de son
escarcelle brodée une petite paire de ciseaux d’argent, elle me commanda de
baisser la tête. Mais je n’eus pas à la baisser beaucoup.
    Angelina haussée par ses talons
ayant même taille que moi, étant grandette fille, comme je l’ai dit.
    Quand elle eut fait sur mon chef sa
picorée, qui était fort petite, et l’eut serrée en sa bourse avec les ciseaux,
je dis en souriant, tant le sourire m’était nécessaire pour celer mon
émoi :
    — Vous n’avez pas fait grande
moisson, je ne perdrai donc pas ma force…
    Et comme à cela elle ouvrait de
grands yeux, et ne paraissait pas vouloir quitter la poivrière, mais y demeurer
quelque temps avec moi, je lui contai l’histoire de Samson et Dalila, qu’elle
ignorait, étant papiste.
    — Hélas, dit-elle, se
rembrunissant tout soudain, nous ne sommes point de la même religion. Ce sera
grande traverse, je le crains, à nos projets.
    — Je le crains aussi, dis-je,
bien embarrassé de lui conter comment je l’avais appris.
    Elle s’accoisa alors, ne voulant en
dire davantage, et attachant ses yeux noirs sur ma face, elle entrouvrit un
petit ses jolies lèvres, et parut respirer plus vite. La rondeur du mur de la
poivrière, l’espace étant étroit au surplus, nous forçait à être assez près
l’un de l’autre, comme devaient l’être les défenseurs du château quand ils tiraient
par les meurtrières contre les assiégeants. Et encore que ni Angelina ni moi
n’avions de ce haut lieu à repousser les assauts des bandes, nous ne laissions
pas d’être en quelque guise assiégés en nos jeunes vies par des forces
contraires.
    — Ma nourrice m’a répété
souvent, dit Angelina, que si une garce baille à un homme le petit doigt, il
voudra le bras entier.
    — Il me semble, dis-je, le cœur
me cognant beaucoup, et

Weitere Kostenlose Bücher