En Nos Vertes Années
comme linge et la tête basse, le baron se tint coi. Mais Dame Gertrude du
Luc, ayant aperçu dans sa féminine finesse qu’il y avait dans mon discours un
élément de comédie, et désirant fort, au service de ses propres desseins, me
voir m’accommoder au baron, et elle-même s’accommoder à lui, lui ayant lancé à
la tête Dieu sait combien de gobelets, couteaux et couverts tandis qu’il me
pourchassait, s’élança de sa place vers moi, et de ses blanches et douces mains
me saisissant la dextre (dans laquelle elle glissa un petit billet que je mis
dans mon pourpoint) se mit gracieusement à genoux et me dit d’une voix fort
piteuse :
— Ha ! Monsieur de
Siorac ! Êtes-vous turc ? Êtes-vous chrétien ? Mais que si vous
êtes chrétien, comme je crois, tout réformé que vous soyez, je vous prie à deux
genoux, au nom du Christ, d’épargner la vie du Baron de Caudebec, qui est pour
tous et toutes notre père tant aimé sans lequel nul d’entre nous, s’il
périssait, ne pourrait poursuivre ses jours !
À cela, ces garces normandes qui
étaient fort grandes, comme j’ai dit, et fort belles, l’œil bleu et le cheveu
brillant comme paille de blé mûr, et encore que pour leur taille et vigueur il
y eût de l’homme en elles, n’en avaient pas moins toute leur part de chatterie
et cajolement, ne purent mieux répliquer qu’en se pressant à mon entour avec
des gémissements, des soupirs et des larmes, vraies ou feintes, coulant sur
leurs belles faces, me suppliant de ne pas occire le baron, leur père tant
chéri. À quoi le baron dit, le pleur au bord de l’œil :
— La peste soit de ces
friponnes ! Suis-je si faible ? Ne dirait-on pas que je suis mort
déjà ?
À peine achevait-il qu’apparut dans
la salle un fort beau et majestueux gentilhomme, suivi d’un laquais qui portait
devant lui avec respect comme une châsse un tonnelet que je cuidai être rempli
de vin précieux. Cossolat aussitôt sauta de son escabelle, remit son épée au
fourreau et fit au nouveau venu un profond salut.
— Qu’est cela ? dit le
gentilhomme en sourcillant quelque peu. Mon cher Cossolat, je vous ai vu
dégainé. Y a-t-il eu céans quelque tumulte ?
— Il s’apaise, Monsieur de Lattes,
dit Cossolat.
Et déjà, en effet, Caudebec avait
remis, comme furtivement, sa lame en son logement et envisageait M. de Lattes
sans piper ni broncher tant il était étonné de sa superbe et de son apparence.
— Êtes-vous, dit ce haut
seigneur, le Baron de Caudebec ?
— C’est moi, dit le baron.
— Monsieur le Baron de
Caudebec, reprit M. de Lattes, pour vous remercier de la bonne grâce que vous
avez mise à vous accommoder à M. de Siorac, M. de Joyeuse désire vous faire don
de ce tonnelet de muscat afin de remplacer celui que, par une ruse de guerre
des plus fines, vous remîtes aux caïmans des Corbières. Cet accommodement
est-il fait ?
— Il se fait, dis-je en saluant
profondément M. de Lattes. Il y manque encore les excuses que M. le Baron de
Caudebec est dans l’intention de me faire pour quelques petits mots un peu vifs
qui lui ont échappé dans son ire.
Caudebec envisagea en succession M.
de Lattes, Cossolat, le tonnelet de muscat et moi-même, et la face toujours
fort pâle, il dit :
— Monsieur de Siorac, je vous
fais mes excuses.
— Monsieur le Baron, dis-je, je
suis votre serviteur.
Et tirant à lui, le visage riant, je
lui donnai une forte brassée et le baisai sur les deux joues, baisers auxquels
il répondit avec plus de bonne grâce que je n’aurais attendu, étant en son for
soulagé d’en être quitte à si bon compte.
— Monsieur le Baron, lui
glissai-je à l’oreille au milieu de nos embrassements, ne fouettez pas ce soir
votre page. Sans lui, je serais mort et vous-même serré en une geôle fétide en
attendant d’être décapité.
Il le promit. Et je vous passe ici
les compliments qui s’échangèrent alors et redondèrent de part et d’autre en
belles phrases et périodes nombreuses, M. de Lattes parlant fort bien le
français de Paris et aimant s’écouter le parler. Dès que ce beau gentilhomme
eut quitté la grande salle, et tandis que Cossolat acceptait du baron un
gobelet de muscat, je les saluai et quittai, et sortant des Trois-Rois, mais sans m’éloigner trop et me plaçant dans une encoignure, je tirai de mon
pourpoint le billet que Dame Gertrude du Luc m’avait glissé dans la main, et je
lus :
Mon gentilh
Weitere Kostenlose Bücher