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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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dans mon charnier. Le
veux-tu ?
    — Si je le veux ! dit
Espoumel, la salive lui coulant des lèvres, et l’œil fiché sur le gobelet.
    — Le nom, Espoumel ?
    — Le Dentu.
    — Ha ! dit la Thomassine.
Le Dentu ! C’est donc bien ce que j’avais pensé. Azaïs, quiers ce chapon,
et donne-le à notre homme. Ainsi, c’est Le Dentu…
    — Le Dentu, dis-je, est-ce là
son nom ?
    — Son nom véritable, nul ne le
connaît, et pas même lui. Mais le gueux a, en effet, dents fort bonnes et fort
belles pour croquer tout ce qui se croque. Je le connais, mon Pierre. Quand je
m’en vins céans de mes monts des Cévennes, presque tuée de pauvreté, et tant
maigre que fil d’aiguille. Le Dentu me servit de maquereau pour me soutenir
dans mon péché. Il fut deux ans avec moi, et certes, je l’aimais. Mais il était
querelleur, buveux, brutal et n’en avait qu’à mon bien. Aussi le mis-je dehors
dès que je connus Cossolat, duquel il avait très peur, ayant commis céans
larcins et meurtreries. Le Dentu se retira alors, ces huit ans passés, dans les
monts des Corbières, et jeudi tout soudain réapparut céans. Espoumel, je suis
la bagasse dont le gojat voulait tirer subsides et qui le repoussa de sa porte.
    — Dòna, dit Espoumel la bouche
pleine. Poli et honnête je suis. Je ne vous ai point appelée bagasse.
    — Peu me chaut, dit la
Thomassine en secouant ses épaules charnues. Je suis ce que je suis. Et peu
vergognée de l’être. En outre, ayant maintenant de quoi, je ne vends plus mon
devant. Je le donne. Et mon amour avec, ajouta-t-elle, en me baillant l’œillade
la plus tendre.
    — Grand merci, ma bonne
Thomassine, dis-je en me levant de mon escabelle et en allant la baiser sur ses
lèvres vermeilles. Je te sais un gré infini de ta belle amour. Je t’aime aussi.
    — Ha, gentil menteur !
dit-elle, en me rendant dix poutounes pour un et en même temps me testonnant le
cheveu de ses doigts potelés. Aimable et courtois tu es comme en ton
Périgord ! Point ne te crois ! Mais du moins, n’es-tu pas de ces
malonestes qui pissent dans le puits après qu’ils y ont bu !
    Sur quoi l’œil marron de Miroul
s’égaya tandis que son œil bleu restait froid.
    — Madame, dit Azaïs qui était
avec sa maîtresse sur un pied de familiarité où je n’avais vu jusque-là aucune
chambrière, tout cela est bel et bon, mais n’explique point que Le Dentu ait
voulu expédier notre gentilhomme.
    — Oh ! que si ! dit
la Thomassine. Je connais le gojat ! Il aura vu en M. de Siorac un rival,
et le rival occis, il a pensé mettre la main sur moi et mes pécunes.
    Là-dessus, tout étant clair enfin,
on s’accoisa et Azaïs, s’asseyant sur la table d’un air fripon, balança ses
gambettes, ce qui me tira l’œil, mais incontinent je le remis dans le droit
chemin, ayant tué, comme je l’ai dit, cet oisillon-là à peine sorti de l’œuf.
Cependant, Miroul, je l’observai, allait donnant de la tête dans ce joli piège.
Et je m’en réjouis, voyant quelque commodité à ce que le valet trouvât pâture
là où ses maîtres avaient leurs avoines. Si du moins j’ose parler d’avoine pour
Dame Gertrude du Luc qui, à cet instant même, au-dessus de nos têtes,
nourrissait d’une céleste ambroisie mon bien-aimé Samson. Ha, frère !
pensai-je, abandonne-toi à tes délices, sans cure ni souci ! Comment peux-tu
penser que le divin maître, qui prodigue si libéralement dans sa nature graines
et fleurs, veuille nous rogner chichement des joies si courtes dans notre vie
si brève.
    Cependant, la Thomassine, me
désignant de l’œil mon caïman des Corbières, m’arracha à ma rêverie.
    — Espoumel, dis-je en
l’envisageant tandis qu’il finissait de gloutir le chapon rôti, la graisse lui
coulant des coins de la bouche, tu m’as voulu occire aux champs et occire
encore en la ville… C’est trop de deux ! Que vais-je faire de toi ?
    — Me pendre, dit Espoumel en
lapant son vin à petits coups pensifs. Faudra bien en passer par là. Tel qui se
gausse de la hart un jour s’en chausse. Et Dieu ait pitié de lui. C’est
pauvreté qui, en mes monts des Corbières, m’a mené à larcins et meurtreries.
Fille, j’aurais vendu mon devant. Garçon, j’ai usé du cotel. Que le Seigneur
Jésus me pardonne, et je mourrai content.
    — Espoumel, plus content encore
tu vivrais. Si tu me dis où trouver Le Dentu, je demanderai pour toi la grâce
du Roi.
    — Feriez-vous

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