En Nos Vertes Années
s’il ne le fait lui-même, car il me dit
être assez embarrassé de la plume, écrivez-moi à Rome ce qu’il en est de lui et
de son déportement, je vous en saurai un gré infini !
Là-dessus, sur la promesse que je
lui fis, elle me baisa encore, avec tant de tendresse et tant d’élan que
lorsqu’elle départit enfin, je m’assis sur une escabelle, et versai
d’abondantes larmes.
— Quoi ? dit la Thomassine
en entrant, te voilà de même en pleurs ? Cette grande garce normande m’a
mué en fontaines mes beaux cadets du Périgord ! Mon Pierre, es-tu pris,
toi aussi, dans les rets ?
— Je ne sais…
— Ou alors, dit la Thomassine,
elle dans les tiens… La vague qui recouvre un rocher peut bien, poussée par la
brise, recouvrir le suivant. Pierre, il en est des femmes comme des vents et
tempêtes : nul ne peut les prédire.
Mais comme je restais coi, la face
triste et l’œil fiché à terre, la Thomassine me dit avec un sourire :
— Te voilà bien navré. Mais toi
qui es médecin, Pierre de Siorac, ne sais-tu pas que l’âme peut se guérir par le
moyen du corps ? Allons, mon Pierre, laisse que je te soigne !
poursuivit-elle en délaçant son corps de cotte, geste qui me rappela Barberine.
J’ai la curation souveraine pour traiter la mélancolie.
Et certes, de tous les remèdes
négligés par notre maître Rondelet dans son Methodus ad curandorum omnium
morborum, celui-là est le moins coûteux, le plus sûr et le plus délicieux,
car des bras de la Thomassine, je sortis en effet tout rebiscoulé, comme le
géant Antée après qu’il eut repris contact avec la déesse Terre, dont il était
le fils. Aussi, me faut-il bien croire que je suis fils de la Terre et de
femmes terrestres, comme Barberine et Thomassine, dont le lait de divine bonté
n’a cessé de me nourrir, ma vie durant.
Mais un mois se passa avant que je
pusse consoler quelque peu mon Samson, à qui mon remède particulier, comme bien
vous pensez, eût été de nul effet. Chaque semaine, j’écrivais, non sans quelque
secret plaisir, à Dame Gertrude du Luc, une missive fort longue, à laquelle mon
Samson ajoutait quelques mots d’une simplicité à vous tordre le cœur.
Comme il ne se passait de semaine
sans que des Roumieux en France ne fissent étape en Montpellier, soit revenant
de Rome, soit y allant, les lettres que dans les deux sens on leur confiait
parvenaient à destination avec une merveilleuse promptitude. Il arrivait même
qu’elles se croisassent, car Dame Gertrude, encore qu’elle fût à Rome pour ses
dévotions, ne cessait, elle aussi, de couvrir, à l’adresse de Samson et de
moi-même, des pages entières, dans une orthographe qui me ramentevait celle de
la petite Hélix, mais chargées cependant de sentiments si tendres, si mignards,
si caressants, qu’en fermant les yeux on pouvait presque voir son cœur généreux
palpiter entre les lignes. Du moins, c’est ainsi que je l’imaginais, n’étant
pas exclu, me semblait-il, de ses effusions.
Fin août, l’apothicairerie reçut
deux autres missives qui avaient mis, en revanche, un temps infini à nous
parvenir, étant passées de marchand à marchand et de ville en ville, l’une
faste, de mon père, l’autre néfaste, du jurisconsulte Coras vivant à Réamont en
Albigeois, adressée au très illustre Maître Sanche et qui nous plongea tous
dans la désolation, comme je dirai.
Ha ! Que de bien, et que de mal
aussi, nous fit, à Samson et à moi, la lettre de mon père, à proportion de ce
qu’il nous peignait de notre bien-aimé Mespech, si loin de nous, sous de si
brillantes couleurs, tous, maîtres et gens s’étant gardés sains et gaillards
dans ses murs, les moissons bonnes, les foins rentrés, la vendange s’annonçant
belle, le fruit abondant, et bonne vente aussi des pierres appareillées du
carrier Jonas, des tonneaux de Faujanet, des hottes de la Sarrazine, des
moutons de Cabusse, des porcs de notre moulin, celui-ci par ailleurs prospérant
grandement, sous l’adroit ménagement de Coulondre Bras-de-fer : Les gens
de nos villages nous apportant leur grain, non par obligation – ce
droit-là ayant été aboli – mais par choix, ayant fiance en l’honnêteté du
seigneur huguenot, ce qui n’empêchait point son honnête profit. Et point
seulement le grain, mais à l’automne, la noix à presser sur une autre meule,
pour en tirer l’huile dont on éclairait les veillées. Il n’était jusqu’au roux
Pétromol qui,
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