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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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peu le baron, qui avait
osé l’affronter en sa ville, et en revanche aimant fort l’alberguière qui, en
son quotidien, se soumettait si volontiers à son autorité.
    Quand enfin tout fut résolu, j’allai
trouver Samson et Dame Gertrude du Luc qui, retirés dans leur petite chambre de
l’Aiguillerie, n’en pouvaient plus de douleur à l’idée de quitter ces quelques
pieds carrés qui avaient enfermé pendant six jours et pendant six nuits leur
inouï bonheur.
    Je les trouvai, au-delà même des
larmes qu’ils avaient répandues, mais pâles, chancelants, hébétés, plongés dans
un profond silence, ne sachant que se tenir les mains et s’entrevisager avec
amour et stupeur, attendant le couteau d’un instant à l’autre, qui allait
couper à vif leur chair et leur âme. Hélas, je fus celui qui dut trancher,
l’heure du département des Roumieux ayant déjà sonné, et si navré que je fusse
moi-même de l’excès de leur pâtiment et de leurs embrassements désespérés et
enfin de la fuite de mon pauvre bien-aimé Samson qui, après avoir baisé sa dame
de la tête aux pieds dans une fureur d’idolâtrie, se jeta comme fol hors de la
chambre, et (d’après Miroul) bousculant sans les voir la Thomassine et Azaïs,
courut d’une traite, le visage hagard, jusqu’à l’apothicairerie.
    Miroul, sur mon commandement, le
suivit, mais sans avoir accès à son gîte où mon pauvre frère se verrouilla
incontinent, gémissant à cœur fendre sur son lit. Ce que voyant Miroul, il
passa dans ma chambre, dont Samson n’était séparé que par une cloison de bois
et de torchis et, accoté contre elle et pinçant sa viole, chanta une berceuse
de notre Barberine pour conforter son maître.
    Pour moi, j’eusse bien voulu fuir
aussi le désespoir de cette pauvre dame, mais je ne pus, car après le départ de
Samson, poussant un grand cri, elle se jeta dans mes bras, et sa tant claire et
belle face appuyée sur mon épaule, elle me dit d’une voix si piteuse que la
gorge aussitôt me serra :
    — Ha, Monsieur ! Ha, mon
frère ! Ha, de grâce, ne me quittez sur l’heure, que je ne perde pas tout
de lui à la fois ! Que je vous garde une minute encore, vous qui êtes à
lui, comme je suis sienne, puisque je n’ignore pas de quelle grande amour vous
veillez sur mon bel ange pour démêler ses terrestres chemins ! Car mon
Samson ne manque pas de tout me dire en sa céleste simplicité, et je sais ses
tourments à l’idée de son gros péché et la façon aussi dont vous les dissipez.
Que le ciel, si j’ose ici le nommer, vous remercie de vos soins ! S’il ne
le fait je le ferai, moi, pauvre pécheresse, mais peut-on pécher quand tant on
aime et voudrait tout donner de son cœur, et de son corps, et de ses
biens ?
    — Ha, Madame ! dis-je, de
grâce, n’en disputons pas plus outre. Remettons-nous dans la main de Dieu. Il
est bon. Et comment sa bonté pourrait-elle s’accommoder aux cruels châtiments
dont nous sommes ici-bas menacés en nos brefs instants de bonheur ?
    — Pierre, dit-elle d’un ton
plus calme, comme j’aimerais que vous m’en persuadiez, comme vous en persuadez
Samson ! Mais Monsieur, après mon département de Montpellier, vous qui
avez tant de pouvoir sur Samson, n’allez-vous pas le convaincre dans l’intérêt
de sa santé d’aller porter ses soupirs aux pieds d’une quelconque garce qui,
pour être plus jeune que moi (encore que je ne sois certes pas d’âge à être la
mère de mon Samson), ne me vaudrait assurément pas. N’ai-je pas observé céans
les tendres regards que lui coule cette petite vipère d’Azaïs chaque fois
qu’elle l’envisage ?
    — Azaïs, Madame ! Il
s’agit bien d’Azaïs ! Toutes les femmes que Dieu créa seraient aux pieds
de mon Samson s’il le voulait ! Mais il n’aime et n’aimera jamais que
vous, je vous en fais le serment solennel. Et pour moi, je veillerai sur sa
fidélité comme j’eusse veillé sur la mienne si j’avais eu la félicité d’être
aimé de vous.
    — Ha, Monsieur !
s’écria-t-elle en me donnant derechef une étroite brassée et en me couvrant la
face de baisers qui, en l’extrême désordre où elle se trouvait, n’étaient peut-être
pas tout à fait innocents. Monsieur, vous m’ôtez du cœur un poids
immense ! Pour moi, ajouta-t-elle avec un regard qui me perça le cœur, je
vous aime comme un frère et beaucoup davantage. Veillez bien, je vous en
supplie, sur mon bien-aimé Samson, et

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