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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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après avoir refait nos harnais, s’était mis à ouvrager des selles
si belles que la frérèche n’avait point de peine à les vendre à haut prix à la
noblesse catholique du Sarladais, toujours soucieuse d’ostentation.
    Tout ceci conté dans le ton vif et
expéditif qu’affectait mon père, et qui nous le rendait si présent, avec ses yeux
clairs, son torse droit, son rire sonore, ses verts propos, et la chaleureuse
amour qu’il portait à tous, gens compris, dont il citait les noms, sans en
omettre un seul.
    « Pour ce qui est de Samson,
poursuivait mon père, fort loin d’être dépit de l’extraordinaire appétit qu’il
montre pour l’apothicairerie, j’en suis fort satisfait et l’autorise bien
volontiers à en apprendre l’état. D’autant que sans doute il se ramentevoit que
mon père Charles Siorac voulait faire de son aîné un apothicaire et de moi, son
cadet, un médecin, afin que d’exercer tous deux à Rouen et cernant le patient
en amont comme en aval, prospérer grandement si Dieu voulait. Et qui sait si ce
que mon père n’a pu réaliser en ses fils, je ne pourrais pas l’accomplir en les
miens ?
    « Messieurs mes fils, vous
serez sans doute fort aise d’apprendre que votre aîné François et votre
gracieuse sœur Catherine se portent fort bien, et que mon gentil bâtard David [55] grandit en exceptionnelle beauté, y ayant, semble-t-il, une mystérieuse grâce
du ciel réservée aux enfants conçus hors mariage. (Ceci était écrit, je gage,
tant pour se conforter lui-même que pour conforter Samson.) Ainsi en est-il de
la Gavachette, aussi bravette et mignonne qu’aucune garce dans le Sarladais,
encore qu’elle ne soit pas fille de Roume, comme la Maligou le prétend.
    « Mon Pierre, je te loue tout
autant de débroussailler la logique et la philosophie que de ta valeur dans les
Corbières. L’art est si long, et la vie, si courte. Et comme tu sais, rien ne
s’achève sans sueur ni labeur : absque sudore et labore nullum opus
perfectum est [56] . Pour le cotillon, si tu en trouves un bon, à savoir d’une bonne garce,
tiens-toi à celui-là, et à celui-là seul. Mais je fais fond là-dessus sur ta
sagesse, laquelle passe de beaucoup ton âge. »
    Oui-da pour les fleurs, que mon père
se réservait toujours, n’ayant point trop le cœur à gronder, le rôle du censeur
dans la frérèche étant dévolu à Sauveterre, mais la censure, toutefois, venant
bel et bien des deux, et personne pour s’y tromper. Après les roses donc, les
épines. Car il y avait, hélas, un post-scriptum à cette lettre tant aimable, et
celui-ci – in cauda venenum [57]  –,
excessivement âcre et piquant, signé de notre oncle Sauveterre, lequel d’une
plume acérée nous faisait grief de trop dépenser en repas et boissons à
l’auberge des Trois-Rois, et repoussait par ailleurs comme « futile
et frivole » le projet que j’avais osé dans ma lettre suggérer, de
commander en Montpellier pour Samson et moi, comme la mode en était alors, un
pourpoint de satin bleu avec des chausses de même couleur, et des crevés
rouges, et une toque de velours ornée d’une plume.
    « Mes neveux, écrivait
Sauveterre, habillez-vous de noir, comme il convient à votre docte état, et non
comme des mignons de couchette qui se paonnent dans les ruelles et vivent en
vilité. »
    Voilà bien nos huguenots, pensai-je,
déprisant la vêture et l’apparat, et jusqu’à la commodité et rognant sur tout,
à seule fin de remplir leurs coffres. « Samson, dis-je, après avoir lu la
lettre, te souviens-tu comment l’oncle Sauveterre, ramassant un jour une
épingle dans la cour de Mespech, monta, tout claudicant, jusqu’à la chambre de
ma mère et lui dit : « Voilà qui est à vous, je crois. Ma cousine,
n’égarez pas vos épingles : elles sont si chères. » »
« Mais il avait raison, dit roidement Samson. Gaspiller est impie, et
quant à l’ostentation, elle est mère de luxure. » À quoi je ne répliquai
rien, mais ne pensai pas moins. Car j’eusse pu citer à ce frère naïf de
certaines luxures qui, loin d’être filles de dépense et d’ostentation,
n’avaient pas coûté un sol vaillant à ceux qui s’y étaient ventrouillés. Mais
je préférai me taire, de peur de troubler beaucoup ce frère tant chéri, car mon
Samson, en sa colombine innocence, ne s’était jamais demandé qui avait payé la
chambre de l’Aiguillerie, non plus que les bonnes et saines viandes dont,

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