Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
six
jours durant, on avait réparé ses forces.
    Dame Rachel qu’en arrivant à
Montpellier nous n’avions fait qu’entrevisager, assise sur une chaise au frais
devant sa porte et durement enceinte – et comme on s’en souvient, le soir
même, derrière un rideau, elle accoucha d’une fille, en violation des règles de
notre médecine, qui voulaient qu’en pleine lune, elle baillât à son époux un
fils –, était revenue parmi nous après ses relevailles, royale et
brillante en sa grâce orientale, Maître Sanche ayant montré, disait Fogacer,
beaucoup de goût dans le choix de ses successives épouses, et la dernière en
date plus belle et plus jeune encore que la précédente, ayant quelque quarante
ans de moins que lui, et d’une beauté à faire pâlir Typhème, laquelle,
d’ailleurs, n’était pas sa fille, non plus que Luc, enfants d’un premier lit, à
qui elle témoignait peu d’amitié, et pas davantage à Fogacer, ni à moi-même, ni
à Samson, étant aussi froide que le diamant dont elle avait l’éclat. Redoutée,
au surplus, comme peste en carême par tout le domestique, par la cuisinière
Concepcion, par ma pauvre Fontanette, par les commis, et même par le cyclopéen
Balsa. Au très illustre maître, témoignant le respect qui lui était dû, et rien
de plus, et l’envisageant de sa prunelle froide, que pas un pleur ne ternit
jamais, du moins tout le temps que je fus dans cette maison.
    La lettre du jurisconsulte Coras,
qui arriva deux jours après celle du Baron de Mespech, était, hélas, d’une bien
autre encre que celle de mon père, laquelle respirait la force et la mâle
gaieté qui étaient les siennes en son quotidien.
    Ce midi-là, en la salle à manger de
l’apothicairerie, chacun debout devant son escabelle attendait le très illustre
maître – Dame Rachel, vu son état, ou peut-être en raison d’un décret
permanent de son époux, l’attendait aussi, mais assise, le dos accoté à un
fauteuil, les deux mains sur les genoux, sa belle face haut dressée, et ne
regardant rien ni personne de ses beaux yeux si froids, sinon peut-être à
l’intérieur de sa jolie tête le spectacle de sa propre beauté.
    Et cette attente se prolongeant plus
qu’à l’accoutumée, nous en étions fort étonnés, quand le maître apparut enfin,
la tête basse, plus courbé et déjeté qu’à l’ordinaire, portant en sa dextre un
papier plié en quatre, et testonnant d’un air chagrin de sa senestre sa longue
barbe grise. Posant ledit papier à côté de son écuelle avec un profond soupir,
il défit sa ceinture argentée et ôta sa robe de soie, mais comme distrait et
retiré en lui-même, et sans la pompe et la piaffe qu’il mettait d’ordinaire à
ce dévestement. Puis, suspendant sa robe à l’andouiller d’une tête de cerf qui
décorait le mur, la face triste, l’œil terne et la lèvre affaissée, il s’assit.
    — Mais, Monsieur mon mari, dit
Rachel, vous avez omis d’ôter votre bonnet houppé d’amarante…
    — C’est, ma foi, vrai, dit
Maître Sanche qui, se relevant sans l’ombre d’un sourire, mais la face toujours
fort contrainte, retira son couvre-chef et l’encorna à côté de sa robe. Ayant
fait, il posa sur ses cheveux frisés et grisonnants sa petite calotte noire
brodée de soie d’or, et après un second soupir, se rassit, la main tremblante
posée sur le papier qu’il avait apporté.
    — Mais, Monsieur mon mari, dit
Rachel, vous vous asseyez ?
    — Eh bien, Madame ? dit
Maître Sanche, non sans humeur et comme dérangé de sa rêverie. Pourquoi
pas ?
    — Monsieur, dit Rachel, qui
parut fort piquée de ce ton – et ce disant, elle portait encore plus haut
la crête – vous oubliez le benedicite… Allons-nous manger nos
viandes comme payens en Turquie ?
    — C’est vrai, dit Maître Sanche
et, se relevant, il attendit que la Fontanette, portant son aiguière, lui eût
baillé de l’eau.
    Puis il resta, l’œil fiché à terre,
tandis que la bravette fille faisait le tour de la table pour donner à laver à
chacun, ce qu’elle fit sans les jolies petites mines qu’elle affectait, la
prunelle de Dame Rachel restant tout ce temps attachée sur elle comme œil de
chatte sur souris.
    La Fontanette retirée en la souillarde,
Maître Sanche prononça en son hébreu son particulier benedicite, la face
tournée du côté du mur, balançant la tête d’arrière en avant, comme c’était son
usage, et ne se retournant vers nous que

Weitere Kostenlose Bücher