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En Route

Titel: En Route Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joris-Karl Huysmans
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rond-point. Puis, quelle lucidité révèle cette entrée dans un ordre ! Car enfin, si elles n'avaient pas été recueillies par le Christ, elles seraient devenues quoi, ces malheureuses ? Mariées à des pochards et martelées de coups ; ou bien servantes dans des auberges, violées par leurs patrons, brutalisées par les autres domestiques, condamnées aux couches clandestines, vouées au mépris des carrefours, aux dangers des retapes ! Et, sans rien savoir, elles ont tout évité ; elles demeurent innocentes, loin de ces périls et loin de ces boues, soumises à une obéissance qui n'est plus ignoble, disposées par leur genre de vie même à éprouver, si elles en sont dignes, les plus puissantes allégresses que l'âme de la créature humaine puisse ressentir !
    Elles restent peut-être encore des bêtes de somme, mais elles sont les bêtes de somme du bon Dieu, au moins !
    Il en était là de ses réflexions quand le bedeau lui fit un signe. Le prêtre, descendu de l'autel, tenait le petit ostensoir ; la procession des jeunes filles s'ébranlait maintenant devant lui. Durtal passa devant le rang des religieuses qui ne se mêlèrent pas au cortège et, le cierge à la main, il suivit le bedeau qui portait derrière le prêtre un parasol tendu de soie blanche.
    Alors, de sa voix traînante d'accordéon grandi, l'harmonium, du haut de la tribune, emplit l'église, et les nonnes, debout à ses côtés, entonnèrent le vieux chant rythmé tel qu'un pas de marche, l'Adeste fideles, tandis qu'en bas les moniales et les fidèles scandaient, après chaque strophe, le doux et pressant refrain Venite adoremus.
    La procession tourna, plusieurs fois, autour de la chapelle, dominant les têtes courbées dans la fumée des encensoirs que les enfants de choeur brandissaient, en se retournant, à chaque halte, devant le prêtre.
    Eh bien, mais je ne m'en suis pas trop mal tiré, se dit Durtal, lorsqu'ils furent revenus devant l'autel. Il croyait que son rôle avait pris fin, mais, sans lui demander, cette fois, son avis, le bedeau le pria de s'agenouiller, à la barre de communion, devant l'autel.
    Il se sentait mal à l'aise, gêné de se savoir ainsi, derrière le dos, tout ce pensionnat, tout ce couvent ; puis il n'avait pas l'habitude de cette posture ; il lui sembla qu'on lui enfonçait des coins dans les jambes, qu'on le soumettait, comme au Moyen Age, à la torture. Embarrassé par son cierge qui coulait et menaçait de le cribler de taches, il remuait doucement sur place, tentant d'émousser, en glissant le bas de son paletot sous ses genoux, le coupant des marches ; mais il ne faisait, en bougeant, qu'aggraver son mal ; ses chairs refoulées s'inséraient entre les os et son épiderme froissé brûlait. Il finit par suer d'angoisse, craignant de distraire la ferveur de la communauté par une chute ; et la cérémonie s'éternisait ! à la tribune, les religieuses chantaient, mais il ne les écoutait plus et déplorait la longueur de cet office.
    Enfin, le moment de la bénédiction s'apprêta.
    Alors, malgré lui, se voyant là, si près de Dieu, Durtal oublia ses souffrances et baissa le front, honteux d'être ainsi placé, tel qu'un capitaine à la tête de sa compagnie, au premier rang de la troupe de ces vierges ; et, lorsque, dans un grand silence, la sonnette tinta et que le prêtre, se retournant, fendit lentement l'air en forme de croix et bénit, avec le Saint-Sacrement, la chapelle abattue à ses pieds, Durtal demeura, le corps incliné, les yeux clos, cherchant à se dissimuler, à se faire petit, à passer inaperçu, Là-Haut, au milieu de cette foule pieuse.
    Le psaume Laudate Dominum omnes gentes retentissait encore, quand le bedeau vint lui enlever son cierge. Durtal fut sur le point de jeter un cri, alors qu'il fallut se mettre debout ; ses genoux engourdis craquaient et leurs charnières ne manoeuvraient plus.
    Il finit néanmoins par regagner, cahin-caha, sa place ; il laissa s'écouler la foule, et, s'approchant du bedeau, il lui demanda le nom de ce couvent et l'ordre auquel appartenaient ces religieuses.
    Ce sont des franciscaines missionnaires de Marie, répondit cet homme, mais ce sanctuaire n'est pas leur propriété, comme vous semblez le croire ; c'est une chapelle de secours qui dépend de la paroisse de Saint-Marcel de la Maison-Blanche ; elle est seulement reliée par un couloir à la maison que ces soeurs occupent là, derrière nous, dans la rue de l'Ebre. Elles

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