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En Route

Titel: En Route Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joris-Karl Huysmans
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qui ne mentent point, lorsqu'ils affirment à celui qui sait tout qu'ils sont sans haine ?
    Il fut tiré de ses réflexions par le silence subit de la salle. Les vêpres étaient terminées ; l'harmonium préluda encore et toutes les voix des nonnes s'élevèrent, en bas, dans le choeur, en haut dans la tribune, chantant le vieux Noël : Il est né le divin enfant.
    Il écoutait, ému par la naïveté de ce cantique et, soudain, en une minute, brutalement, sans y rien comprendre, la posture de petites filles à genoux sur leurs chaises, devant lui, lui suscita d'infâmes souvenirs.
    Il se rebiffa, dégoûté, voulut repousser l'assaut de ces hontes et elles persistèrent. Une femme, dont les perversions l'affolaient, revint le trouver là.
    Il revit, sous les chemisettes de dentelles et de soie, renfler les chairs ; ses mains tremblèrent et, fiévreusement, elles ouvrirent les abjectes et les délicieuses cassolettes de cette fille.
    Tout à coup, cette hallucination cessa ; machinalement, son oeil était attiré vers le prêtre qui le regardait en parlant bas à un bedeau.
    Il perdit la tête, s'imagina que ce prêtre devinait ses pensées et le chassait, mais cette idée était si folle qu'il haussa les épaules et plus sagement se dit que l'on ne recevait sans doute pas d'hommes dans ce couvent de femmes, que l'abbé venait de l'apercevoir et lui dépêchait le bedeau pour le prier de sortir.
    Il venait en effet droit à lui ; Durtal s'apprêtait à prendre son chapeau, quand, d'un ton tout à fait persuasif et docile, cet employé lui dit : la procession va commencer ; il est d'usage que les messieurs marchent derrière le Saint-sacrement ; bien que vous soyez le seul homme ici, Monsieur L'Abbé a pensé que vous ne refuseriez pas de suivre le cortège qu'on va former.
    Ahuri par cette demande, Durtal eut un geste vague dans lequel le bedeau crut discerner une adhésion.
    Mais non, se dit-il, lorsqu'il fut seul ; je ne veux pas du tout me mêler à la cérémonie ; d'abord, je n'y connais rien et je gafferais, ensuite je ne veux pas me couvrir de ridicule. Il s'apprêtait à filer sans bruit, mais il n'eut pas le temps d'exécuter son projet ; l'huissier lui apportait un cierge allumé et l'invitait à l'accompagner. Il fit alors contre fortune bon coeur et tout en se répétant : ce que je dois avoir l'air couenne ! Il s'achemina derrière cet individu jusqu'à l'autel.
    Là le bedeau l'arrêta et le pria de ne plus bouger. Toute la chapelle était maintenant debout ; le pensionnat de jeunes filles se divisait en deux files précédées d'une femme portant une bannière. Durtal s'avança devant le premier rang des religieuses.
    Les voiles baissés devant les profanes, dans l'église même, étaient levés devant le Saint-sacrement, devant Dieu. Durtal put examiner ces soeurs pendant une seconde ; sa désillusion fut d'abord complète. Il se les figurait pâles et graves comme la nonne qu'il avait entrevue dans la tribune et presque toutes étaient rouges, tachées de son, et croisaient de pauvres doigts boudinés et crevés par les engelures. Elles avaient des visages gonflés et semblaient toutes commencer ou terminer une fluxion ; elles étaient évidemment des filles de la campagne ; et les novices reconnaissables à leurs robes grises, sous le voile blanc, étaient plus vulgaire encore ; elles avaient certainement travaillé dans des fermes ; et, pourtant, à les regarder ainsi tendues vers l'autel, l'indigence de leurs faces, l'horreur de leurs mains bleuies par le froid, de leurs ongles crénelés, cuits par les lessives, disparaissaient ; les yeux humbles et chastes, prompts aux larmes de l'adoration sous les longs cils, changeaient en une pieuse simplesse la grossièreté des traits. Fondues dans la prière, elles ne voyaient même pas ses regards curieux, ne soupçonnaient même point qu'un homme était là qui les épiait.
    Et Durtal enviait l'admirable sagesse de ces pauvres filles qui avaient seules compris qu'il était dément de vouloir vivre. Il se disait : l'ignorance mène au même résultat que la science. Parmi les carmélites, il est des femmes riches et jolies qui ont vécu dans le monde et l'ont quitté, convaincues à jamais du néant de ses joies, et ces religieuses-ci, qui ne connaissent évidemment rien, ont eu l'intuition de cette vacuité qu'il a fallu des années d'expérience aux autres pour acquérir. Par des voies différentes, elles sont arrivées au même

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