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En Route

Titel: En Route Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joris-Karl Huysmans
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avait entrevu des fantômes blancs qui glissaient et des étoiles qui clignotaient en l'air et, tout contre la grille, une forme de femme, agenouillée, immobile sur le sol, tenant, elle aussi, une étoile au bout d'un cierge. La femme ne bougeait pas, mais l'étoile tremblait ; puis quand le moment de la communion avait été proche, la femme s'était levée, avait disparu et sa tête, comme décapitée, était venue remplir le cadre du guichet ouvert dans la lancette.
    Penché en avant, il avait alors aperçu, pendant une seconde, une figure morte, les paupières tombées ; blanche, sans yeux, de même que les statues en marbre de l'antique. Et tout s'était effacé avec le cardinal, courbé, le saint ciboire à la main, sur la chatière.
    Ce fut si prompt qu'il se demanda s'il n'avait pas rêvé ; la messe s'était achevée. L'on entendait, derrière la claire-voie de fer, des psalmodies lamentables, des chants lents, traînés, pleurés toujours sur les mêmes notes ; des lueurs vagabondes et des formes blanches passaient dans l'azur fluide des encens. Mgr Richard s'était alors assis, mitre en tête, et il interrogeait la postulante, revenue à sa place, agenouillée devant lui, derrière la grille.
    Il parlait à voix basse ; on ne pouvait l'entendre. Toute la chapelle se penchait pour écouter la novice prononcer ses voeux, mais l'on ne percevait qu'un long murmure. Durtal se rappelait qu'il avait joué des coudes, qu'il était parvenu à s'approcher du choeur et que, là, au travers des barres croisées de la herse, il avait aperçu la femme en blanc, étendue à plat ventre, dans un cadre de fleurs ; et tout le couvent défilait, en se courbant sur elle, entonnait le chant des trépassés, l'aspergeait d'eau bénite, comme une morte !
    C'est admirable ! s'écria-t-il, soulevé dans la rue par le souvenir de cette scène, - et il se disait : la vie ! La vie de ces femmes ! Coucher sur une paillasse piquée de crins, sans oreiller ni draps ; jeûner sept mois de l'année sur douze, sauf les dimanches et les jours de fêtes ; toujours manger, debout, des légumes et des aliments maigres ; rester sans feu, l'hiver ; psalmodier pendant des heures, sur des dalles glacées ; se châtier le corps, être assez humble pour, si l'on a été douillettement élevée, accepter avec joie de laver la vaisselle, de vaquer aux besognes les plus viles ; prier, dès le matin, toute la journée jusqu'à minuit, jusqu'à ce que l'on tombe en défaillance, prier ainsi jusqu'à la mort ! Faut-il qu'elles aient pitié de nous et qu'elles tiennent à expier l'imbécillité de ce monde qui les traite d'hystériques et de folles, car il est inapte à comprendre les joies suppliciées de telles âmes !
    On ne se sent pas très fier de soi, quand on songe aux carmélites et même à ces humbles franciscaines qui sont cependant plus vulgaires. Il est vrai que celles-là n'appartiennent pas à un ordre contemplatif, mais, c'est égal, leurs règles sont assez rigides, leur existence est assez dure pour qu'elles puissent, elles aussi, compenser par leurs oraisons et par leurs oeuvres les excès de la ville qu'elles protègent.
    Il s'exaltait, en pensant aux monastères. Ah ! être terré chez eux, à l'abri des mufles, ne plus savoir si des livres paraissent, si des journaux s'impriment, ignorer pour jamais ce qui se passe, hors de sa cellule, chez les hommes ! - et parfaire le bienfaisant silence de cette vie murée, en se nourrissant d'actions de grâces, en se désaltérant de plain-chant, en se saturant avec les inépuisables délices des liturgies !
    Puis, qui sait ? à force de bonne volonté, de suppliques ardentes, parvenir à l'approcher, à l'entretenir, à le sentir près de soi, presque content de sa créature, peut-être ! Et il évoquait les allégresses de ces abbayes où Jésus vivait. Il se rappelait cet étonnant couvent d'Unterlinden, près de Colmar, où, au treizième siècle, ce n'était pas une, deux nonnes, c'était le monastère tout entier qui surgissait, éperdu, devant le Christ dans des cris de joie : des religieuses s'élevaient au-dessus de terre, d'autres entendaient des chants séraphiques ou sécrétaient de leurs corps épuisés des baumes ; d'autres encore devenaient diaphanes ou se nimbaient d'étoiles ; tous les phénomènes de la vie contemplative étaient visibles dans la haute école de mystique que fut ce cloître.
    Emballé comme il l'était, il se trouva devant sa porte,

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