Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
dans des endroits reculés, on trouvait en général quelqu’un capable de transcrire les paroles des uns et des autres. En outre, la lenteur de la traduction laissait pratiquement toujours le temps de noter intégralement ce qui se disait. Les interprètes étaient souvent des métis qui connaissaient la langue parlée mais ne savaient que rarement lire ou écrire. Comme la plupart des personnes issues de peuples de tradition orale, ils avaient recours à des images pour exprimer leurs pensées, si bien qu’on trouve dans leurs traductions en anglais de nombreuses comparaisons et métaphores très colorées inspirées par la Nature. Si un mauvais interprète risquait de transformer les envolées d’un Indien éloquent en prose des plus insignifiantes, un bon traducteur pouvait faire d’un piètre orateur un poète.
La plupart des chefs indiens s’exprimaient librement et en toute franchise lors des conseils avec les représentants du gouvernement américain. Au cours des années 1870-1880, à mesure qu’ils devenaient plus avertis sur ces questions, ils exigèrent de pouvoir choisir les personnes qui traduiraient et transcriraient leurs propos. À cette époque, certains anciens profitèrent du droit de parole dont jouissaient tous les membres des tribus pour raconter des événements passés dont ils avaient été témoins ou relater l’histoire de leur peuple. Si les Indiens qui vécurent cette période sombre ont disparu, leurs mots sont conservés par millions dans des rapports officiels, les comptes rendus des conseils les plus importants figurant souvent dans les documents de travail du gouvernement.
J’ai tenté, à partir de toutes ces sources qui conservent la trace d’une histoire orale pratiquement oubliée, de reconstituer un récit de la conquête de l’Ouest telle que les victimes la vécurent, en utilisant autant que faire se peut leurs propres mots. Je voudrais que les Américains qui ont toujours étudié cette période en dirigeant leur regard vers l’Ouest changent de perspective lorsqu’ils liront ce livre.
On ne trouvera pas ici matière à se réjouir. Mais il arrive que l’histoire éclaire le présent, et peut-être mes lecteurs comprendront-ils mieux qui sont les Indiens d’Amérique aujourd’hui en apprenant ce qu’ils furent. Ils seront peut-être surpris d’entendre des paroles marquées du sceau de la raison provenant de la bouche d’indiens invariablement présentés comme des brutes sauvages dans la mythologie américaine. Ils en sauront peut-être plus sur leur propre relation à la terre, grâce à un peuple sincèrement soucieux de son environnement et conscient que la vie dépendait de la terre et de ses ressources, un peuple qui savait qu’il vivait dans un paradis et ne voyait pas pourquoi les envahisseurs venus de l’est s’acharnaient à anéantir tout ce qui était indien et à détruire l’Amérique par la même occasion.
Et si jamais mes lecteurs découvrent la pauvreté, le désespoir et la misère noire dans laquelle vivent les Indiens sur les réserves modernes, ils en comprendront alors peut-être les vraies raisons.
D EE B ROWN
Urbana, Illinois, avril 1970
Je ne serai pas là. Je me lèverai et m’en irai.
Enterre mon cœur à Wounded Knee.
Stephen Vincent Benét
1 -
« Leurs manières sont bienséantes et dignes d’éloges »
Où sont les Pequots aujourd’hui ? Où sont les Narragansetts, les Mohicans, les Pokanokets, et toutes ces tribus de notre peuple autrefois si puissantes ? Elles ont disparu face à l’avarice et l’oppression de l’Homme Blanc, telle la neige sous le soleil de l’été.
Allons-nous à notre tour nous laisser détruire sans lutter, abandonner nos maisons, cette terre que nous a léguée le Grand Esprit, les sépultures de nos morts et tout ce qui nous est cher et sacré ? « Jamais ! Jamais ! » crierez-vous avec moi.
Tecumseh, du peuple shawnee
L’histoire commence avec Christophe Colomb, lequel donna à ce peuple le nom d’Indien, prononcé Indian ou Indianer selon le dialecte que parlaient les Européens – les Blancs –, le terme Peaux-Rouges venant plus tard. Ainsi que le voulait la coutume lorsqu’ils accueillaient des étrangers, les Tainos de l’île de San Salvador offrirent de généreux présents à Colomb et à ses hommes et les traitèrent avec honneur.
« Ce peuple est si paisible et si doux, écrivit le navigateur génois au roi et à la reine d’Espagne, qu’il n’y a
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