Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
Préface
C’est en 1982 que j’ai pour la première fois entendu parler d ’Enterre mon cœur à Wounded Knee. Je vivais à Toronto, j’étais un jeune punk et j’arborais une crête à l’iroquoise. Je n’avais que vaguement conscience de mes racines et de mes origines. À seize ans, j’étais persuadé de tout savoir. Or, cette année-là, un professeur de mon lycée que j’aimais bien ainsi que deux ou trois autres punks qui vivaient dans la rue et pour lesquels j’éprouvais une sorte d’adoration m’ont tous incité à lire ce livre. Je me le suis immédiatement procuré.
Il avait été publié en Amérique plus de dix ans auparavant. Un petit tirage, des espoirs de vente modestes. Personne, et surtout pas Dee Brown, l’historien bibliothécaire qui l’avait écrit, n’aurait osé imaginer que cet ouvrage deviendrait ce qu’il est aujourd’hui.
La proposition qu’il nous fait est simple, mais dérangeante : et si nous prenions le risque d’examiner l’un de nos grands récits – la conquête de l’Ouest américain – en adoptant non pas le point de vue des conquérants, mais celui du peuple qui a été écrasé ?
À la lecture de ce livre, ma façon de voir le monde, mes opinions politiques, ma sensibilité ont subi une véritable révolution conceptuelle. L’adolescent à problèmes que j’étais s’est retrouvé contraint de garder autour de lui. Mais surtout, Enterre mon cœur m’a fait prendre conscience du sang qui coulait dans mes veines, le sang d’ancêtres Ojibwés et européens. Comment ma propre histoire pouvait-elle être à la fois celle du conquérant et du vaincu, celle de l’agresseur et de l’agressé ?
Au lieu d’adopter le ton monotone d’un universitaire qui n’aurait plus grand chose à prouver, Brown, en se concentrant sur les années 1860-1880, a choisi de nous faire revivre la grande aventure américaine à travers la voix des personnes les plus affectées, laissant à des hommes tels Red Cloud, Roman Nose, Cochise et Sitting Bull le soin de raconter leur propre histoire avec leurs propres mots. De ces pages surgissent une conception du monde et des modes de vie sur le point de disparaître. Le lecteur ne peut manquer d’être frappé par la confiance absolue que les nations indiennes accordaient à des discours et des traités qui, les uns après les autres, se sont révélés aussi légers que le papier sur lequel ils étaient rédigés. La volonté des premiers habitants de l’Amérique non seulement d’être fidèles à leur parole mais aussi de traduire celle-ci dans leurs actes est illustrée ici à travers un récit simple et efficace. Surtout, Dee Brown s’attache à montrer comment les grands traités de l’époque ont été systématiquement violés par l’homme blanc.
Cependant, le livre ne se contente pas de faire appel aux sentiments du lecteur pour livrer son message. Pour la première fois dans le paysage littéraire américain, il offre une vue panoramique de toutes ces nations qui ont livré bataille contre ceux qui allaient les anéantir après avoir détruit leurs foyers et rompu les traités, des nations dont l’existence même reposait sur la conviction que la terre ne peut pas être possédée et qui en sont mortes. Pour autant, Dee Brown évite soigneusement de dépeindre l’Amérique des Indiens comme une sorte de paradis idyllique. Sous sa plume revit une organisation politique et un ordre social dont la complexité n’avait rien à envier à nos instances internationales modernes (et européennes).
Le livre est sorti en 1970, à une époque où l’Amérique, embourbée dans la guerre du Vietnam, était logiquement prête à réexaminer sa propre histoire et sa propre place dans le monde. Mais comment expliquer qu’il soit toujours autant lu, qu’il ait été vendu à plus de 5 millions d’exemplaires, traduit dans vingt langues et adapté au cinéma en 2007 ? Il y a certes aujourd’hui dans toute l’Amérique du Nord des Indiens qui occupent des positions importantes, qu’ils soient médecins, avocats, enseignants, écrivains, juges, sportifs professionnels ou hommes d’affaires. Mais la vérité, aussi simple et accablante soit-elle, est qu’un grand nombre des communautés nord-américaines les plus défavorisées sur le plan économique ou social vivent sur des réserves indiennes.
Les plus frustes et intolérants d’entre nous persistent à vouloir croire que l’homme rouge est d’une certaine
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