Et Dieu donnera la victoire
dans sa situation : elle aurait surmonté cette implacable lassitude ; elle n’aurait pas surpris ses paupières en train de se fermer ; sa pensée n’aurait pas dérivé vers des idées profanes. Cette Fille Dieu, de quoi est-elle faite ? De quelle chair, de quel métal ? Il revoit son profil alors qu’ils franchissaient la porte monumentale marquant la fin de sa mission à elle et le début de son règne à lui. Ils l’ont passée comme une sorte de frontière, avec le sentiment de basculer dans un autre monde, de quitter celui des épreuves pour accéder à celui des promesses tenues et des espoirs réalisés. Jeanne paraissait transfigurée, un sourire grave figé sur son visage hâlé par le soleil et les souffles brûlants de l’été, rond comme un fruit de l’Éden, droite, si droite sur sa selle...
À l’aube, lorsque le duc d’Alençon est entré dans la basilique, il a trouvé le dauphin allongé sur les dalles, son coussin sous la nuque, dormant comme un bienheureux. Il a fallu, en le soutenant aux aisselles, le conduire à l’archevêché pour qu’il prolonge son somme d’une heure ou deux en attendant qu’on le prépare pour la cérémonie.
On était entré dans Reims le samedi 16 juillet. La coutume voulant que le sacre soit célébré le jour du Seigneur ou un jour férié, il avait été prévu pour le lendemain.
Il faisait plein jour lorsque la main de Gilles de Rais lui toucha l’épaule.
– Sire, il faut vous réveiller. La cérémonie traditionnelle du lever du roi va débuter.
On fit rapidement sa toilette et, encore à moitié endormi, on lui fit revêtir ses habits du sacre. Il se dit prêt à recevoir son grand chancelier, Regnault de Chartres, archevêque de Reims, accompagné du chantre de la cathédrale, de prélats, de chanoines, d’enfants de choeur porteurs de cierges. Il entendit, frappé à la porte de sa chambre, un coup sourd comme un battement de cloche, qui le fit sursauter, et une voix puissante – il reconnut celle de La Trémoille – qui répondait près de lui :
– Que demandez-vous ?
De l’autre côté de la porte, une autre voix retentit :
– Nous demandons le roi.
– Le roi dort ! répondit La Trémoille.
Le chantre frappa de nouveau et reprit :
– Nous demandons à voir Charles que Dieu nous a donné pour roi.
La Trémoille fit enfin ouvrir la porte, laissant la délégation envahir la chambre et entourer le lit où reposait, radieux, le dauphin.
– Monseigneur, dit l’archevêque Regnault, êtes-vous prêt à nous suivre ?
– J’y suis prêt, dit Charles.
Une journée seulement pour organiser les cérémonies du sacre, c’était peu. Il fallut improviser.
On devrait renoncer aux regalia , les ornements royaux : ils se trouvaient à Saint-Denis, en possession des Anglais, qui les réservaient au sacre du prince Henri. On devrait pallier également l’absence de la couronne et de l’épée de Charlemagne, du sceptre, de la main de justice, des éperons, de l’agrafe, autant d’objets qui donnaient une qualité symbolique au cérémonial. On s’en passerait par la force des choses, et l’on trouverait à les remplacer. On s’y était employé toute la nuit.
À défaut de la couronne impériale, on en découvrit une dans le trésor de la basilique. Elle n’était pas, comme celle de Charlemagne, d’or massif, constellée de rubis, de saphirs et d’émeraudes, mais, dans sa simplicité, elle avait assez belle apparence. Pour les autres ornements on fit confiance au corps de la ville qui parvint à constituer une panoplie convenable. La foule, d’ailleurs, ne s’apercevrait pas du subterfuge.
À l’aube, quatre cavaliers vêtus d’un manteau noir et d’un habit blanc franchirent les remparts pour se rendre à l’abbaye de Saint-Rémy afin d’y prendre possession de la sainte ampoule, volée par les Anglais quelque temps auparavant et retrouvée intacte par on ne savait quel mystère ou quel miracle. Gilles de Rais, le maréchal de Boussac, le maître des archers Graville, l’amiral de Culan chevauchèrent au petit trot, en silence, à travers une campagne qui commençait à s’éveiller dans le chant des coqs.
Le grand prieur de Saint-Rémy alla prendre dans la tombe du bienheureux la fiole placée dans une colombe reliquaire. Elle se trouvait là depuis le baptême de Clovis, disait-on, et ne devait jamais quitter ce refuge, sauf à l’occasion d’un sacre royal. C’était un récipient de cristal
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