Et Dieu donnera la victoire
campagne relativement épargnée par la canicule, où l’on put se rafraîchir, se reposer et faire le compte des effectifs qui avaient diminué du fait des désertions.
Le dauphin avait affronté à son avantage l’épreuve de cette chevauchée. Il est vrai que l’on tenait en permanence un dais de toile au-dessus de sa personne et que ni lui ni son cheval n’avaient manqué d’eau. On n’en eût pas dit autant de La Trémoille : il avait commencé cette partie de l’expédition sur un roussin de Picardie, et l’avait poursuivie dans une litière aux rideaux de cuir où il macérait.
Profitant de cette halte salutaire, le dauphin avait écrit aux échevins de Châlons pour leur annoncer son intention de traverser la ville et d’y laisser une garnison. Les nouvelles qu’il en avait reçu à Troyes l’avaient inquiété : elles confirmaient leur intention de résister. Cette attitude sentait la bravade et la palinodie, et le dauphin n’en fut pas dupe. Les échevins de Châlons devaient se garder quelque assurance du côté de la Bourgogne. Auxerre avait donné le ton : appeler au secours en espérant être entendu trop tard ; on gagnait ainsi sur les deux tableaux.
Le dauphin n’éprouva aucune surprise lorsqu’il vit se présenter l’évêque-comte de Châlons, Jean de Montbéliard-Sarrebruck, portant sur un coussinet les clés de la ville, pas plus que de l’entendre déclarer avec un air matois que la présence du dauphin était attendue et souhaitée par tous.
Le lendemain, 14 juillet, l’armée pénétrait dans la ville.
Installée pour la nuit dans l’hôtel de l’évêque-comte, dominant la Marne au milieu de superbes jardins, Jeanne s’attardait aux étuves lorsqu’on lui annonça une visite. Elle trouva au sortir du bain deux connaissances de Domrémy : l’un de ses parrains, Jean Morel, et Gérardin d’Épinal. Elle n’avait eu que de bons rapports avec Morel mais s’était souvent querellée avec Gérardin qui affichait des convictions bourguignonnes dont il s’était repenti depuis.
Ils ne lui apprirent que peu de nouvelles du pays, car elle recevait assez régulièrement des lettres de l’oncle Laxart et de Colin de Greux, son beau-frère, veuf de sa soeur cadette, Catherine, morte depuis un an.
– Jeanne, dit le parrain en ôtant son bonnet, nous sommes fiers de toi. Quand tu reviendras au pays, tu seras reçue comme une reine. Tes parents m’ont chargé de te dire que tu es pardonnée.
– J’ignore, dit-elle, si je reverrai Domrémy. Sinon, j’en aurai beaucoup de regret.
Tournée vers Gérardin, elle l’embrassa de même et lui lança joyeusement :
– Je te charge d’une mission : tu diras à ceux de Maxey qui sont demeurés bourguignons que, si je reviens au pays, j’irai leur frotter les côtes !
– Depuis que tu as chassé les Godons d’Orléans, répondit Gérardin, les gens de Maxey ont tourné casaque. Que l’un d’eux dise du mal de toi, il se fera écharper !
Elle demanda des nouvelles de Robert de Baudricourt. Il gardait toujours la place d’une main ferme et se tenait informé des faits et gestes de sa protégée. Il était devenu l’ami, l’allié, le conseiller de René d’Anjou, fils de Madame Yolande, qui vivait à la cour de Lorraine.
– J’aimerais, dit-elle en les congédiant, que vous gardiez un souvenir de moi.
Elle offrit à Jean Morel la robe rouge qu’elle portait avant son départ de Vaucouleurs et à Gérardin le bonnet qui allait avec : des reliques qui ne lui seraient plus d’aucune utilité.
– Dieu te garde, ma Jeannette ! dit le parrain.
– Son soutien me sera précieux là où je vais. Je ne crains pas de recevoir de mauvais coup, mais je redoute la trahison. Nombre de gens ne me pardonnent pas mes succès et souhaitent ma perte. Ils sont si puissants, si cauteleux, qu’ils finiront bien par avoir raison de moi...
Reims, la grande inconnue.
Le dauphin avait reçu des lettres de notables l’assurant du bon accueil qu’on lui réservait, mais avait appris que, dans le même temps, ces hypocrites informaient les Bourguignons et les Anglais de la progression victorieuse de l’armée du Sacre et leur demandaient de lui barrer la route. Imitant les gens de Troyes et de Châlons, ils réclamaient à cor et à cri un secours qu’ils espéraient bien ne pas obtenir. Ainsi, personne ne pourrait leur reprocher leur attitude.
Atterrés d’apprendre qu’un important parti de Bourguignons campé à
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