Et Dieu donnera la victoire
de toi. À Domrémy, à Greux, et même à Maxey, on attend avec impatience ton retour. Il va falloir que tu reviennes au plus tôt, puisque ta mission est terminée.
Jacques se resservit un gobelet de vin.
– Ce que dit Laxart est vrai. Tu reviendras bientôt, n’est-ce pas, Jeannette, et vous aussi, mes fils ? Depuis votre départ, je m’éreinte au travail. J’ai même dû vendre une vigne du Bois-Chenu et louer un journalier. La guerre est finie, n’est-ce pas ? Alors il va falloir revenir au pays.
– Revenir au pays... soupira Jeanne.
Cette vigne du Bois-Chenu, où elle avait souvent travaillé avec son père, ses frères et Josef Birkenwald, faisait une traîne uniforme à la forêt sauvage et descendait en pente douce jusqu’aux prairies de la Meuse. Elle avait connu sur cette pièce de terre des heures pénibles et la joie exaltante des vendanges. Elle avait encore dans sa mémoire l’image du mont Julien noyé dans les brumes du lointain. Elle était partie depuis six mois et il lui semblait que cela faisait une éternité.
– Tu reviendras, n’est-ce pas, ma Jeannette ? insista le père.
– Si Dieu le veut, répondit Jeanne. Ma vie est entre Ses mains. Un jour, peut-être, mais qui pourrait dire quand ?
Jacques et Laxart restèrent une semaine à l’auberge de l’Âne rayé, aux frais de la ville. Ils s’étaient trouvé de nombreux amis avec lesquels ils faisaient bombance et s’enivraient. Ils dépensèrent en quelques jours le peu d’écus que Jeanne avait laissés sur la table avant de les quitter. Pierre lui en fit le reproche : ils ne ramèneraient rien à la maison.
Un matin, un échevin vint trouver Jacques et lui fit comprendre qu’il était temps pour lui de regagner ses pénates : lui et son acolyte Laxart se comportaient mal et coûtaient fort cher en entretien et en menus plaisirs. On lui offrit une vieille horse et une mule pour Laxart. Ils étaient venus à pied ; ils repartiraient montés comme des bourgeois en promenade.
Jeanne tint à assister à leur départ.
Tous leurs amis et connaissances étaient là. Ils fêtèrent l’événement en organisant une joyeuse beuverie et tinrent à faire cortège à ces deux illustres personnages jusqu’à la porte Dieulimire par où le dauphin, quelques jours avant, avait fait son entrée.
Accompagnée de Jean d’Aulon, Jeanne les suivit par le chemin longeant la Vesle, jusqu’au bourg de Saint-Léonard. Elle prétexta d’obligations pressantes pour ne pas pousser plus avant et échapper ainsi aux propos grivois et aux chansons bachiques des compagnons.
Ils mirent pied à terre pour embrasser Jeanne une dernière fois, pleurèrent de concert, lui firent promettre de revenir pour les vendanges.
– Je ferai mon possible, les rassura Jeanne. Dites à la mère que je l’aime et que je garde toujours l’anneau qu’elle m’a donné et qui m’a porté bonheur.
Elle resta longtemps droite et immobile sur sa selle à les regarder s’éloigner le long de la rivière, sous un ciel plombé de nuées orageuses. Elle songea qu’ils auraient sans doute de la pluie avant le soir.
En revenant à Reims, elle se remémora ce qu’elle avait dit au dauphin, avant d’entreprendre la campagne de la Loire :
« Mettez-moi vite à l’épreuve, monseigneur, car je ne durerai guère : un an peut-être, deux tout au plus... »
Les trois France
Le Siège d'Orléans
Les routes de Jeanne
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