Et Dieu donnera la victoire
initial et enrôla les recrues sous sa bannière aux léopards.
Charles croyait, après la chute d’Orléans, la défaite de Patay et le sacre, s’être débarrassé de son adversaire. Bedford n’allait pas tarder à lui démontrer son erreur.
Depuis sa dernière rencontre avec la Pucelle, Madame Yolande, reine de Sicile, semblait avoir vieilli : son corps s’était alourdi, son visage anguleux d’Aragonaise avait pris une teinte de vieil ivoire et des rides accentuaient son air soucieux et sévère. Jeanne avait trouvé un message signé de sa main le soir du sacre, alors qu’elle dictait à Pasquerel sa lettre à Philippe le Bon.
– La reine désire vous rencontrer, dit le frère. Vous la trouverez à la maison de ville, demain, sur le coup de midi.
Jeanne se sentit inondée de joie. La veille, au cours de la cérémonie, elle avait regretté de ne pas l’apercevoir dans la foule et s’était demandé si quelque indisposition ne l’avait pas dissuadée d’entreprendre ce voyage.
Par la rue du Parvis, toute sonore de cloches et de carillons, elle se rendit au rendez-vous. La ville s’éveillait lentement des festivités de la veille. Des flaques de vin, des vomissures, des reliefs du festin jonchaient le ruisseau et la chaussée que les boutiquiers nettoyaient à grande eau. Des ivrognes, hommes et femmes, dormaient encore au pied des murs, sous les encorbellements ; d’autres erraient en titubant, une bouteille à la main. Ici et là des chats et des chiens disputaient aux pauvres un croûton de pain ou un os à ronger.
Elle eut un sourire en voyant le frère Richard debout sur une table en train de prêcher quelques femmes à moitié endormies. Il baignait comme à son habitude dans un brouillard de vaticinations exacerbées, en plein orage d’éloquence. Il arrêta son débit en apercevant Jeanne, lui adressa un sourire et un signe de la main avant de s’écrier :
– Ouvrez grandes vos oreilles à notre Seigneur lorsqu’Il proclame : Vae tibi, Corozain ! Vae tibi, Bethsaida !
Madame Yolande jouait avec ses chiens. Elle s’avança vers la Pucelle, bras tendus, un sourire parcimonieux éclairant son masque blafard.
– Il me tardait de vous retrouver, dit-elle, mais j’ai de gros soucis avec mes domaines, à commencer par ceux de Provence et de Sicile. Si nous avons vécu si longtemps loin l’une de l’autre, dites-vous que je ne vous ai jamais perdue de vue. De tout ce temps, j’étais au jour le jour informée de vos faits et gestes. J’ai des intelligences jusque dans votre entourage immédiat. Et puis, si je ne vous ai pas donné signe de vie, c’est aussi que tout vous réussissait à merveille, et même au-delà de mes espérances.
Elle proposa à Jeanne de prendre place près d’elle sur le banc de pierre et prit ses mains dans les siennes.
– Je vous aime trop, fit-elle, et je n’ignore pas que vous me témoignez beaucoup de confiance, pour vous laisser dans l’ignorance de quelques aspects de nos rapports. Certains pourront vous dire que je me suis servie de vous, que vous avez été à votre corps défendant l’instrument de mes intérêts...
– Ce pourrait-il, madame ?
– Ils n’auraient pas tort. Mon fils, René d’Anjou, gendre du duc de Lorraine, pourrait vous révéler les raisons de votre venue à la cour de Nancy. Quant à moi, dès que je vous ai rencontrée, à Chinon, j’ai compris que vous pourriez servir à la fois mes ambitions et celles de mon gendre le dauphin.
– Vos ambitions, madame ?
– Aujourd’hui, grâce à vous, elles sont réalisées. Désormais, et pour longtemps je l’espère, il n’y aura plus de frontière entre mes domaines d’Anjou et ceux de mon fils René, dont il a hérité à la mort du duc Charles. C’est là, Jeanne, notre oeuvre commune.
– Tout ce sang versé, madame, pour simplement ouvrir une voie entre deux frontières...
Madame Yolande prit un air sévère pour lui dire :
– Ma fille, ne vous faites pas plus innocente que vous l’êtes ! Vous devez bien savoir que la politique et la guerre vont main dans la main et que la première prend toujours le pas sur la seconde. C’est une loi cynique et cruelle, j’en conviens, mais il en est ainsi depuis que le monde est monde. Qu’alliez-vous imaginer ? Partir pour une croisade ? Vous n’étiez que le jouet d’intrigues et d’ambitions !
Jeanne se dressa comme pour prendre congé. Madame Yolande la retint par le bras.
– Ne soyez pas fâchée
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