Et Dieu donnera la victoire
Saint-Georges et trouva Dunois en conciliabule avec quelques-uns des chefs.
– Jeanne, dit-il, je suis désolé de te l’apprendre, mais, aujourd’hui encore, nous resterons l’arme au pied. Le gouverneur en a décidé ainsi, sans nous donner de raison.
– Il avait prévu une partie de pêche ! lança Saint-Sévère en riant.
– Je crois plutôt qu’il a rendez-vous avec sa catin, ajouta Xaintrailles.
– En nom Dieu, Bâtard, s’écria Jeanne, si tu es décidé à te battre, et vous de même, mes amis, faites rassembler vos hommes devant l’hôtel de M. le gouverneur ! Ça lui coupera l’appétit !
Les chefs opinèrent. Au rassemblement qui s’opéra sur la place se mêlèrent des milliers d’habitants qui, le bruit ayant couru qu’on allait retarder l’attaque, venaient protester.
– Jeanne, dit le Bâtard, tu me prêtes une importance que je n’ai pas. Le chef suprême des opérations, ce n’est pas moi, pas plus d’ailleurs que toi ou le gouverneur.
Il l’attira à l’écart, lui dit en a parte :
– J’ai failli faire une sottise en envisageant une attaque le jour de l’Ascension. Tu m’as arrêté à temps. Gilles ne me l’aurait pas pardonné.
Il lui expliqua que, alors que l’on se trouvait encore à Chinon, le Conseil royal avait eu à débattre du commandement en chef que l’on donnerait à l’armée d’Orléans. Des noms avaient été avancés : Boussac, d’Alençon, et même La Hire. La Trémoille avait proposé la candidature de Gilles de Rais ; il n’avait pas fait l’unanimité, mais le dauphin était intervenu pour le faire agréer. À aucun moment le nom de la Pucelle n’avait été prononcé, et pour cause : on ne pouvait confier une armée de cette importance, chargée d’une mission capitale, à une gamine de dix-sept ans qui ne connaissait rien à la guerre, fût-elle inspirée par le ciel, comme elle le prétendait.
– Il faut comprendre cette décision, Jeanne. Tu nous es précieuse et nous t’aimons. Sans ton intervention, il est probable qu’Orléans aurait capitulé. Tu es pour notre cause de plus grand prix que le plus valeureux de nos chefs d’armée. Tu es l’esprit, le coeur, la foi, une intermédiaire entre Dieu et les pauvres hommes que nous sommes, mais il faut laisser la guerre aux guerriers. Comprends-tu cela ?
Elle hocha la tête ; elle comprenait. Il ajouta :
– Le chef suprême est Gilles de Rais. Moi, je ne suis que lieutenant général pour cette ville.
Accablée par cette révélation, Jeanne se laissa tomber sur un tabouret. Gilles... Gilles de Rais chef suprême. Personne ne l’avait informée de cette décision et elle avait commis une faute en ne daignant pas se renseigner. Elle était persuadée que, sans qu’elle en eût le brevet, elle pouvait se prévaloir de ce titre. Patatras ! tout s’écroulait autour d’elle. Les propos lénifiants du Bâtard lui allaient droit au coeur sans lui apporter le moindre réconfort.
Déçue, amère, désemparée, elle laissa Dunois repartir pour le Conseil de son allure féline. Le front collé à la fenêtre donnant sur la place, elle aperçut des gens qui lui faisaient des signes d’amitié en criant son nom et en agitant leur bonnet.
Gilles... Gilles de Rais... Ses rapports avec le jeune seigneur vendéen relevaient d’une solidarité de camp plutôt que d’une véritable amitié. Taciturne de nature, il l’écoutait avec attention en caressant sa légère barbe blonde et en fredonnant un air à lèvres closes. Il avait la beauté d’un ange mais un esprit, disait-on, tourné vers d’étranges pensées ; il semblait pétri à la fois de soleil et de nuit. Ce que l’on racontait de ses goûts, de ses sentiments, de ses comportements s’amassait dans une crypte où actes et propos s’enveloppaient de mystère. Il était né à Champtocé, dans la tour Noire, entre la Loire et la Bretagne bleue. Ses origines l’avaient marqué dès sa naissance d’un signe diabolique. Il la troublait ; mal à l’aise en sa compagnie, elle ne pouvait se défendre de la séduction que ce chevalier fastueux exerçait sur elle et qui différait des élans qu’elle avait éprouvés pour Jean d’Alençon et qu’elle aurait pu éprouver pour le Bâtard si ses voix ne l’avaient mise en garde contre les passions terrestres.
Dunois n’avait pas perdu son temps. En quittant la Pucelle, il était allé faire le siège de Gilles et de Gaucourt qui hésitaient encore à lancer une
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