Faubourg Saint-Roch
l'autre. Les trois utilisatrices précédentes avaient laissé un cerne, la jeune fille discerna quelques poils flottant parmi les résidus de savon. Sans tarder, elle entreprit de savonner ses jambes, ses cuisses. Très vite, elle frotta le morceau de tissu rugueux sur la touffe de poils entre ses jambes, entre ses fesses. Dieu soulignait les fonctions honteuses de la femme par cette toison animale. Elle prit garde de ne pas trop insister. Heureusement, la grande chemise de lin permettait de masquer ces «endroits», afin que son regard, même accidentellement, ne se pose pas sur eux.
Que ce vêtement rende difficile de bien se laver le ventre, le dos, la poitrine, lui paraissait un bien petit inconvénient, du moment que la pudeur était sauve. A force de se tortiller, Élisabeth réussit même à faire passer la pièce de toile savonneuse sous ses aisselles.
La jeune fille arriva à s'en tenir au délai de cinq minutes. Sans perdre un instant, elle sortit de la cuve. Malgré sa chemise, elle trouva tant bien que mal le moyen de se sécher avec la serviette de toile apportée à cette fin. Enfiler la culotte de coton, en attacher le cordon à sa taille, remettre la robe et la boutonner jusqu'au cou ne prit qu'un peu de temps supplémentaire.
Un peu frissonnante à cause de la chemise mouillée qui mettrait plus d'une heure à sécher sur son corps, la jeune fille céda sa place à l'une de ses camarades. La dernière à profiter du privilège du bain hebdomadaire mettrait les pieds dans une eau froide et crasseuse.
—Je veux une jeune fille pour s'occuper de l'éducation de mes enfants, dit l'homme, un peu agacé de devoir répéter une explication déjà donnée dans sa lettre.
— Mais vous habitez à quelques centaines de pieds du couvent Notre-Dame, où vous pourriez faire étudier votre fille.
La supérieure des ursulines jetait un regard méfiant sur son visiteur. Seuls les Anglais les plus prospères avaient recours à des gouvernantes pour apprendre les rudiments de la lecture et de l'écriture à leurs enfants. Pareille fantaisie lui paraissait bien suspecte.
—Je vous l'ai déjà écrit. Il y a dix ans à peine, toute la province a connu une épidémie de variole. La grippe apporte son lot de cadavres tous les hivers, sans compter que la tuberculose fait des ravages dans le quartier Saint-Roch.
— Nous avons aussi des classes pour les petites, continua la religieuse comme si elle n'avait rien entendu. Vous pourriez certainement faire conduire votre fille ici en août prochain. Quel âge a-t-elle, déjà ?
—... Sept ans, finit par répondre Thomas Picard après une hésitation.
L'homme présentait un visage maussade. Cette femme revêche lui faisait perdre son temps: tous ses motifs, ainsi que l'âge de ses enfants, se trouvaient exposés dans une missive. S'il se trouvait là, c'était justement à la demande de la supérieure. Le mot reçu d'elle la veille laissait d'ailleurs entendre que la religieuse avait une candidate à lui proposer.
— Alice ne va pas mieux? Je n'ai pas reçu de ses nouvelles depuis un long moment.
Sœur Saint-Gabriel avait adopté un ton plus amène au moment d'évoquer l'amie très proche de ses années d'études, au temps de son adolescence.
— Le médecin se montre plutôt pessimiste. Depuis Noël, elle reste confinée dans sa chambre. C'est pour cela que je veux embaucher quelqu'un. Vous avez un nom à me proposer ?
— ... Oui, je peux vous faire rencontrer une jeune fille intelligente, très pieuse, qui serait capable d'enseigner les lettres et les chiffres aux enfants de cette chère Alice.
— Elle se destine à la vie religieuse ?
Son interlocutrice se troubla un peu, son regard s'attarda à un dossier scolaire posé sur son bureau.
— Elle affirme avoir entendu l'appel de Dieu.
— Alors pourquoi voulez-vous la laisser partir ?
La réponse à cette question ne semblait pas facile à donner. Cette couventine affichait toutes les qualités d'une postulante. Pourtant, la supérieure ajouta après une nouvelle pause :
—Je ne suis pas certaine de la profondeur de sa vocation. Une personne ne peut choisir de porter le voile si elle n'a jamais connu autre chose. Je désire qu'elle voie le monde en dehors de ces murs. Si cette jeune fille désire toujours se faire religieuse dans un an ou deux, je serai heureuse de la recevoir à bras ouverts.
Avant de permettre à une adolescente d'engager le reste de sa
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