Fausta Vaincue
relations suivies avec le prieur Bourgoing, de même que les gentilshommes du service de Guise, reconnut parfaitement le frère portier des jacobins. L’entrée de frère Timothée était d’ailleurs demeurée inaperçue dans le nombre de gens qui allaient, entraient, sortaient.
– Ah ! monsieur le marquis de Maurevert, commença le moine, la bouche en cœur et les yeux luisants.
– Je ne suis pas marquis, fit Maurevert.
– Monsieur le baron, alors, je suis bien heureux…
– Je ne suis pas baron, interrompit Maurevert.
Le moine qui avait mis dans sa tête que Maurevert payerait l’écot de son dîner, ne se laissa pas intimider par cet accueil sévère. Tirant donc à lui un escabeau, il s’assit sans y être invité.
– Mon gentilhomme, dit-il, je suis sûr que le révérend Bourgoing serait bien heureux s’il apprenait en ce moment en quelle excellente compagnie je me trouve.
« Par celle-là ! » ajouta Timothée en lui-même.
En effet, Maurevert, qui devant l’insistance du moine fronçait déjà les sourcils et s’apprêtait à lui faire rudement sentir la distance qui sépare un frocard d’un gentilhomme, se dérida soudainement au nom de Bourgoing et prêta l’oreille.
– Est-ce donc à dire, fit-il, en essayant de démêler les intentions du frère portier, que le prieur vous adresse à moi ?…
– Pas tout à fait… mais presque… Daignez permettre, mon gentilhomme, je meurs de soif.
En même temps, Timothée remplit un gobelet jusqu’au bord et le vida d’un seul trait.
– A votre santé, à celle de la Ligue, murmura-t-il en clignant de l’œil, et à la mort du tyran !…
Maurevert tressaillit… Il se pencha vers le moine et d’une voix basse, rapide :
– Est-ce pour cela que vous venez à Blois ?…
Timothée, encore, cligna de l’œil, réponse qu’il jugeait apte à concilier son désir de bien dîner et sa complète ignorance de la mission dont il était chargé… il portait une lettre, voilà tout. Mais cette réponse, Maurevert l’interpréta dans le sens de l’affirmative. Et dès lors, il résolut de savoir à quoi s’en tenir.
Sa haine contre le duc de Guise, plus encore que le désir de passer le plus tôt possible chez le trésorier royal, lui faisait souhaiter ardemment la mort du duc. Or, depuis huit jours que sa trahison était consommée, il avait beau étudier les visages, soupeser les moindres incidents, recueillir tous les bruits, il n’avait pas encore pu saisir le moindre indice que le roi fût décidé à se débarrasser de Guise.
On conçoit l’intérêt énorme que prit tout à coup à ses yeux frère Timothée, envoyé de Bourgoing, c’est-à-dire d’un ligueur enragé, frère Timothée venu du couvent des jacobins, c’est-à-dire de l’un des centres les plus actifs de la conspiration.
– Buvez, puisque vous avez soif, dit-il d’une voix très adoucie.
Et il versa lui-même une nouvelle rasade au moine, qui alors s’installa et avoua :
– Je ne meurs pas seulement de soif, mais aussi de faim. Songez donc, messire, que j’ai fait en moins de quatre jours le voyage de Paris à Blois…
« Cette fois, songea-t-il, tu m’invites à dîner ! »
Et un troisième clignement des yeux indiqua toute l’importance de la mission qu’il venait remplir à Blois.
– C’est donc bien pressé ? fit Maurevert qui pâlit à cette idée que Guise, peut-être, allait agir le premier… Voyons, vous savez que je suis bon catholique, bon ligueur, intime de monseigneur de Guise et de votre prieur. Au nom des grands intérêts que vous connaissez, si vous m’êtes envoyé, je vous somme de parler. Et si ce n’est pas moi que vous cherchez, je vous en prie…
– Mon cher monsieur de Maurevert, dit le moine, c’est bien vous que je cherchais car voilà quatre heures que je cours après vous. Le révérend prieur m’a expressément recommandé de ne rien faire sans vos avis. Je parlerai donc. Mais je vous avoue qu’avant dîner, mes idées ne sont jamais bien nettes…
– Venez ! dit Maurevert qui tout à coup se leva et gagna rapidement la porte, de façon qu’on vît bien qu’il ne sortait pas en compagnie du moine.
Frère Timothée demeura un instant abasourdi, jeta un dernier regard navré du côté de la cuisine, acheva par acquit de conscience le pot de vin qui était devant lui, et sortit à son tour sans avoir été autrement remarqué. Dans la rue, il détacha sa mule et, mélancoliquement,
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