Fausta Vaincue
s’apprêta à suivre Maurevert qui l’attendait.
– Je vous veux traiter, dit Maurevert, selon vos mérites, c’est-à-dire beaucoup mieux qu’en cette auberge. Suivez-moi donc à quelques pas, car il importe qu’on ne nous voie pas ensemble, vous comprenez ?
– Si je comprends ! s’écria Timothée qui prit au même instant une figure rayonnante.
« Marche, ajouta-t-il en lui-même. Je te suis. Et je comprends admirablement que je vais dîner comme un prince. »
La nuit était tout à fait venue. Les rues étroites de Blois étaient plongées dans les ténèbres que le brouillard faisait plus intenses. Pourtant, des passants assez nombreux se montraient, pareils à des fantômes, bourgeois qui regagnaient leurs logis, ou seigneurs qui se rendaient à la réception royale. C’est à la lueur des falots de ces passants que Timothée pouvait suivre Maurevert, qui montait une ruelle escarpée, pavée de cailloux pointus destinés à aider la descente des chevaux.
« Si cet imbécile est porteur de quelque ordre grave, je le saurai, réfléchissait Maurevert. Et je préviendrai la vieille Médicis. Alors, de deux choses l’une : ou c’est le roi qui agit le premier, ou c’est Guise qui tue Valois. Dans le premier cas, j’aurai rendu un service à la monarchie, et il faudra bien qu’on m’en tienne compte. Dans le deuxième cas, j’en serai quitte pour attendre une nouvelle occasion de prouver à Guise qu’on ne me traite pas impunément comme un valet. Et comme il ne sait rien, comme il ne peut rien savoir, je demeure son intime ! »
Maurevert s’arrêta devant une auberge de médiocre apparence. C’est là qu’il avait son logis. Timothée fit la grimace et soupira :
– L’auberge du
Grand Saint-Matthieu
me paraissait infiniment plus respectable.
– Ne vous fiez pas aux apparences, ricana Maurevert d’un ton qui un instant donna le frisson à Timothée. Je vous ai promis de vous traiter selon vos mérites, et je vous jure que vous le serez. Entrez donc, faites mettre votre mule à l’écurie, puis traversez la salle, montez l’escalier qui se trouve au fond, et faites-vous donner la chambre n° 3.
Timothée commençait à se repentir d’avoir suivi Maurevert. Il éprouvait un étrange malaise. En somme il eût bien voulu s’en aller, quitte à mal dîner. Mais la rue était déserte. Maurevert le surveillait. Et puis, enfin, il n’y avait aucune probabilité que Maurevert, ami de Guise et de Bourgoing, lui voulût du mal.
Il se conforma donc aux instructions qu’il venait de recevoir. Ayant appelé, il donna l’ordre qu’on conduisît sa mule à l’écurie ; puis il entra, et sans s’inquiéter des questions de l’hôtesse, demanda une chambre, la chambre n° 3 qu’on lui avait recommandée.
L’hôtesse le conduisit donc à la chambre en question, et se retira en emportant la bénédiction du moine qui demeura seul. Une demi-heure se passa.
– Par les tripes de saint Pancrace ! gronda le moine, qui à certains moments redevenait reître et sacrait comme un hérétique.
Ayant proféré ce juron peu élégant, mais énergique, frère Timothée ajouta :
– Est-ce que par hasard ce M. de Maurevert, qui n’est ni marquis, ni baron, serait un rien du tout qui se moquerait de moi ? Oui ?… C’est ce qu’on verra, car du moment que l’honneur des jacobins est en jeu…
A ce moment, la porte s’ouvrit, et Maurevert parut, en mettant un doigt sur sa bouche, ce qui dans toutes les pantomimes a toujours signifié : « Tais-toi !… » Le moine se contenta donc de suivre Maurevert, qui par un deuxième geste l’invitait à venir avec lui.
Le gentilhomme traversa le couloir sur lequel s’ouvraient diverses chambres de l’hôtellerie, et pénétra dans le logement situé juste en face de celui qu’occupait le moine. Dès lors, le visage du frère Timothée rayonna plus que jamais et, de rubicond qu’il était, devint incandescent.
En effet, au beau milieu de cette pièce, où Maurevert venait d’entrer, une table toute dressée offrait aux regards les éléments d’un dîner près duquel ceux du
Grand Saint-Matthieu
n’eussent été que de simples hors-d’œuvre. Dans le coin de la cheminée, une douzaine de flacons en rang de bataille attendaient.
– Ah ! ah ! fit simplement frère Timothée en claquant de la langue – mais ce claquement de langue était à lui seul un poème.
– Mon cher hôte, dit Maurevert, asseyez-vous, et
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