Fausta Vaincue
Voyons, vous êtes un hardi compère, à tel point que vous pouvez vous vanter d’avoir étonné le Béarnais. Parlez donc franchement. Si loin qu’aille votre franchise, ajouta-t-il, l’ombre de Jeanne d’Albret vous couvre ici. Ainsi donc, quelle est cette proposition ?… Que m’apportez-vous ?…
Pardaillan, à ces mots « l’ombre de Jeanne d’Albret vous couvre » avait dressé l’oreille. C’était une leçon qu’on infligeait à sa simplicité robuste et libre. Il lui fallait une forte revanche.
– Voyons, dit le Béarnais avec sa bonhomie aigre-douce, que m’apportez-vous ?
– Sire, dit Pardaillan, je vous apporte la couronne de France et le droit d’attacher à vos domaines les vignobles de Saumur qui sont bien supérieurs à ceux de Nérac.
Le Béarnais considéra l’aventurier, puis, d’un accent d’admiration, vaincu peut-être, car il devinait qu’un tel homme ne hasardait pas en vain une aussi formidable promesse, il s’écria :
– Ouf !… ventre-saint-gris, monsieur !…
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Chapitre 43 DEUX DYNASTIES EN PRESENCE
E xpliquez-vous, monsieur, dit le Béarnais lorsqu’il fut un peu revenu de la stupeur que les derniers mots de Pardaillan lui avaient causée.
– Sire, dit Pardaillan, l’explication sera courte, parce qu’un esprit tel que le vôtre a dû assurément évoquer plus d’une fois les raisons que je vais vous soumettre.
Et tandis que le chevalier parlait, le roi admirait sa tranquille aisance, sa simplicité parfaite : il semblait traiter d’égal à égal.
– Sire, continua le chevalier, vous avez une armée très forte par le nombre, par l’ordre qui y règne et par l’enthousiasme de vos soldats. Sûrement, ces officiers que j’ai vus et ces soldats déguenillés, avec leurs becs d’aigles et leurs yeux luisants sont capables de se faire tuer jusqu’au dernier autour de votre panache blanc. Mais ils ne sont pas capables de vous conquérir le royaume de France, ou, l’ayant conquis, de vous le garder.
– Pourquoi, monsieur ?… dit le roi qui suivait avec une profonde attention.
– Parce qu’une armée telle que la vôtre peut détruire une armée, celle d’Henri III, par exemple, puis une autre armée, celle de M. de Mayenne, puis d’autres armées encore. Mais plus elle en détruira, plus il y en aura à détruire. Si bien qu’à la fin, il ne vous restera plus de soldats, à moins que vous ne détruisiez jusqu’au dernier paysan de France, et alors, sur quoi régnerez-vous ?
– Mais pourquoi ? Pourquoi, monsieur ?
– Parce que vous vous heurtez à une passion, à la plus terrible, à la plus irréductible des passions : la passion religieuse.
Le Béarnais poussa un soupir et baissa la tête.
– Je crois, reprit Pardaillan, que Votre Majesté m’a compris. Je dis donc que votre armée de huguenots pourra vous gagner des batailles tant que vous voudrez, mais que derrière vous, les morts se lèveront du champ de bataille ; qu’elle peut vous gagner des villes, mais que vous parti, les villes se révolteront. Parce que vous êtes le roi des huguenots !
– C’est d’une politique simple et large comme toute politique de vérité. Vous avez raison, monsieur. Jamais je ne régnerai en France.
– Si fait, sire, vous régnerez, mais à deux conditions. La première : Henri de Valois est au désespoir ; il n’a plus que cinq ou six mille hommes autour de lui. Henri de Valois est condamné. Henri de Valois n’est plus qu’un fantôme de roi. Mais Henri de Valois, sire, représente en France un principe. On pourra tuer le roi, mais le principe a encore la vie dure. Même si on le découronne, la parole du roi de France aura force de loi pour une foule de seigneurs et de bourgeois disséminés un peu partout sur la surface du royaume. Si demain Henri de Valois déclarait que le chevalier de Pardaillan est apte à lui succéder, demain j’aurais cinq cent mille partisans même parmi les ennemis de Valois. Si Henri III déclare que vous êtes apte à lui succéder, s’il vous désigne, demain, sire, la moitié de la France sera pour vous.
– Monsieur, dit le Béarnais qui se leva et se promena avec agitation, vous m’expliquez avec une aveuglante clarté des choses que je me suis dites mille fois avec des réticences. Mais, enfin, pour que Valois me désigne, que faudrait-il faire ?
– Profiter de sa situation embarrassée pour lui offrir une aide spontanée ; aller le trouver et lui dire :
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