Fausta Vaincue
reprit Crillon qui tremblait d’émotion.
– J’y vais de ce pas. A une condition, pourtant : c’est que vous n’en parlerez pas au roi. Je me charge de mettre les deux Majestés en présence, voilà tout. Et après cela, qu’elles se débrouillent !
– Il suffit que Valois puisse voir Henri de Béarn sans avoir sollicité d’entrevue… Car du moment où le Béarnais acceptera de parler au roi, il est trop fin pour ne pas avoir résolu d’avance la fin de l’entrevue, c’est-à-dire son alliance apportée à nos armes. Chevalier, vous sauvez la monarchie si vous décidez le renard de Navarre… mais nous voici au camp royal. Vous ne voulez pas être présenté à Sa Majesté ?…
– Non, mais je veux bien que vous m’invitiez à dîner, car je meurs de faim et de soif.
– Bon ! fit le brave Crillon tout joyeux. Je vous promets bombance, mon digne compagnon.
Il y eut en effet bombance sous la tente de Crillon qui tint à l’honneur de faire au chevalier une réception aussi opulente que le permettait la vie du camp.
– Je vois, dit Pardaillan, que vous me traitez en ambassadeur de Sa Majesté. Mais qui eût dit à mon père qu’un jour son fils finirait dans la diplomatie ! Enfin, tout est bon qui peut obliger un ami.
Et Crillon ne savait ce qu’il devait le plus admirer dans le chevalier : de son intrépidité à table au moins égale à son courage dans les passes d’armes, ou de la bonhomie avec laquelle il parlait de cette mission extraordinaire où dépendait le sort du roi et du royaume. Aussi, lorsque le lendemain matin, Pardaillan se mit en route pour gagner Saumur où le roi de Béarn était campé, Crillon entra dans la tente d’Henri III qu’il trouva tout triste et dolent, en train de se faire friser, car la toilette ne perdait jamais ses droits avec lui.
– Sire, dit le capitaine, si l’astrologue Ruggieri était avec nous, il annoncerait sans doute à Votre Majesté un grand événement qui va changer la face des choses. Je ne puis vous en dire plus long, sire, mais je puis bien, je crois, sans crainte de me tromper, affirmer au roi que sous deux jours, il sera aussi joyeux qu’il est triste maintenant.
Dans la même journée, Pardaillan atteignit le camp du Béarnais qui, n’ayant pu entrer dans Saumur, s’était avancé dans la direction de Tours, pour surveiller de plus près les événements. Comme il approchait du camp, il vit deux officiers subalternes à la tenue toute râpée et rapiécée qui, venant sans doute de pousser une reconnaissance, regagnaient leurs tentes au pas de leurs chevaux.
L’un d’eux, surtout, paraissait plus minable : il n’avait pas d’armure comme son compagnon ; sa jaquette était trouée aux coudes ; le pourpoint était usé aux épaules, sans doute par l’usage de la cuirasse ; il portait un haut-de-chausses de velours feuille-morte, aussi usé que le reste du costume ; seulement, deux détails apparaissaient dans cet ensemble et tranchaient sur le reste : ce cavalier portait, en effet, sur les épaules un grand manteau écarlate, et sur la tête, un chapeau gris à panache blanc.
L’autre cavalier portait sur la cuirasse une écharpe blanche, mais n’avait pas de panache à son casque.
Pardaillan s’était approché de ces deux officiers dans l’intention de leur demander le moyen de pénétrer dans le camp et de voir le roi de Béarn. Ils continuaient leur chemin sans faire attention à lui et causaient vivement entre eux avec cet accent pimenté qui ferait reconnaître un Gascon au milieu d’une armée. Cependant, on approchait du camp, on rencontrait de nombreux officiers ou soldats, et Pardaillan remarqua que ces gens saluaient le cavalier au panache blanc.
– Messieurs, dit le chevalier en mettant sa monture à hauteur des deux hommes et en soulevant son chapeau, je désirerais pénétrer dans le camp.
Le cavalier au panache se retourna vers Pardaillan, qui le reconnut alors…
« Le roi de Béarn ! » murmura-t-il en lui-même.
Le futur Henri IV jeta sur Pardaillan un regard plus rusé que profond.
– Pourquoi voulez-vous entrer au camp ? fit-il d’un ton bref.
– Pour voir Sa Majesté le roi de Navarre.
– Et que lui voulez-vous, à Sa Majesté ? fit le Béarnais d’un ton narquois.
– Lui faire une proposition qui l’intéresse seul.
– De quelle part ?
– De ma part, monsieur, dit Pardaillan.
Le roi de Navarre tressaillit et considéra le chevalier avec plus
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