Fausta Vaincue
s’appuyant l’un sur l’autre, tout naturellement !… Et comme la vie serait belle, si cela était vrai pour tous ! Ainsi songeait le jeune duc, et comme il était amoureux, sa pensée faisant un bond se reportait à celle qu’il adorait, et il se disait que lui aussi, s’il le fallait, se dévouerait au bonheur de Violetta sans chercher la récompense…
Pardaillan et Charles d’Angoulême reprirent dans l’hôtellerie les chambres qu’ils y avaient occupées : Pardaillan, celle-là même où Croasse avait livré une si terrible bataille à une horloge et à divers autres meubles, c’est-à-dire la chambre d’où pour la première fois, jadis, il y avait bien longtemps de cela, il avait aperçu Loïse de Montmorency. Quant à Charles, en sa qualité de duc, on lui offrait le plus bel appartement de l’auberge, mais il préféra se loger dans la chambre voisine de Pardaillan, qu’il avait déjà occupée.
La journée, la nuit, et encore la journée et la nuit se passaient paisiblement. Ce repos n’étant pas de trop après les secousses de toute nature qu’avaient subies Pardaillan et son compagnon. Il était d’ailleurs nécessaire pour leur permettre d’établir un plan d’opérations.
Le troisième jour au matin, ils sortirent de bonne heure. Et pour mettre un peu d’ordre dans la chronologie de ces divers événements qui se croisent, il n’est peut-être pas inutile de faire remarquer que ce matin-là, il y avait quatre jours que Jacques Clément se trouvait dans le cachot de pénitence du couvent des Jacobins ; que ce matin-là, il y avait dix jours que Picouic et Croasse menaient la vie de cocagne dans l’abbaye des bénédictins de Montmartre.
Pardaillan se précipita vers la vieille rue du Temple.
– Nous allons donc à l’hôtel de Guise ? demanda Charles chemin faisant.
– Sinon à l’hôtel, du moins aux abords, pour y rencontrer, si possible, le sire de Maurevert.
– Toujours Maurevert, gronda le jeune duc avec une évidente inquiétude. Pourquoi Maurevert, enfin ?…
– Je vous l’ai dit, monseigneur. Maurevert n’ignore rien de ce que fait, dit ou pense le duc de Guise. Or, vous admettrez que si quelqu’un au monde sait où se trouve la dame de vos pensées, c’est Guise. Après tout, peut-être pensez-vous qu’il vaut mieux s’adresser à Dieu qu’à ses saints. Donc, si vous le voulez, nous allons entrer dans l’hôtel et pénétrer jusqu’au duc à travers les deux cents gardes ou gentilshommes qu’il a autour de lui.
– Ce que vous dites là est impossible, dit le jeune duc. Mais enfin, pourquoi nous adresser de préférence à Maurevert plutôt qu’à tel autre familier de Guise, Maineville, par exemple.
– Parce que je veux faire coup double, arranger à la fois vos affaires et les miennes : vous savez que j’ai un vieux compte avec Maurevert et que je cours après lui depuis fort longtemps…
L’explication était plausible, et soulagea le jeune duc de la vague inquiétude qu’il commençait à éprouver. Bientôt, les deux compagnons arrivèrent près de la grande porte de l’hôtel où stationnait toujours une certaine foule de badauds.
En effet, l’hôtel de Guise était alors le centre de l’agitation parisienne. Les bourgeois venaient là aux renseignements et tâchaient de savoir ce que pensait le chef de la Ligue. Depuis qu’on préparait les cahiers pour les états généraux que le roi avait promis de réunir à Blois, cette agitation s’était encore augmentée tout en changeant de forme. On voyait peut-être un peu moins d’hommes d’armes autour de l’hôtel, mais force robins, procureurs, avocats, tous d’ailleurs cuirassés et la lourde rapière leur battant les talons, entraient et sortaient par la grande porte où un poste de vingt-quatre arquebusiers était installé, sans compter les sentinelles et patrouilles qui faisaient incessamment le tour de l’hôtel par les rues de Paradis et des Quatre-Fils.
Dans ce va-et-vient de gens qui discutaient en gesticulant dans cette foule, Pardaillan et Charles d’Angoulême passèrent parfaitement inaperçus et se glissèrent dans un groupe assez épais au centre duquel pérorait un homme qui exposait ses idées.
Pendant deux heures, le chevalier et le petit duc demeurèrent les yeux fixés sur cette porte grande ouverte, à tout venant, et Charles commençait à trouver que l’idée d’aller trouver le duc lui-même n’était déjà pas si mauvaise, quitte
Weitere Kostenlose Bücher