Fausta Vaincue
monsieur, que j’ai ma rapière et ma dague, mais que vous avez aussi votre poignard et votre épée… Il est vrai que j’ai un pistolet, mais je ne m’en servirai que si vous essayez de fuir. Ceci, me semble-t-il, nous met sur un pied d’égalité parfaite…
Maurevert fit un signe d’assentiment, et Pardaillan continua :
– Vous me demandez ce que je vous veux. Je veux vous tuer. Je le ferai d’ailleurs le plus proprement possible, et sans vous faire souffrir, estimant que la terreur où je vous fais vivre depuis seize ans balance la douleur où je vis, moi, depuis le même laps de temps. En vous tuant, monsieur, je crois bien sincèrement débarrasser la terre d’un être qui doit lui procurer de l’horreur. J’ai souvent frémi de pitié en frappant un ennemi et en lui ôtant la vie pour sauver la mienne. Mais vous, monsieur, vous n’êtes pas mon ennemi ; vous êtes une force malfaisante qu’il est bon de détruire. Ce que vous m’avez dit dans le cachot de la Bastille m’a prouvé une chose dont je pouvais encore douter : c’est que vous êtes un venimeux reptile qu’il faut écraser. Je vous jure donc que trois minutes après vous avoir tué, j’aurai oublié jusqu’à votre nom… Je vais donc vous tuer. Mais pas ici. Je vous pousserai un peu plus loin, et si cela ne vous désoblige pas trop, je vous prierai de m’accompagner jusqu’à Montfaucon. Vous ne voudriez pourtant pas que votre sang… votre sang… à vous ! tombât comme une rosée maudite sur ce coin de terre qui recouvre la dépouille de mon père !… Montfaucon me paraît un endroit favorable au combat que je vous propose et au repos de vos os. Consentez-vous à m’accompagner jusque-là ?
Maurevert fit un nouveau signe d’assentiment. Une espérance se levait dans son esprit. La route était assez longue de Montmartre à Montfaucon, peut-être une occasion de fuite se présenterait-elle. En tout cas, c’était plus d’une demi-heure de gagnée… un siècle ! Trente à quarante minutes dont chacune pouvait lui apporter le salut. Ce fut donc avec une sorte de joie empressée qu’il répondit :
– Montfaucon, soit ! Là ou ailleurs, soyez sûr que je ne me laisserai pas tuer sans essayer de vous envoyer d’abord rejoindre M. votre père… Il y a assez longtemps qu’il vous attend !…
Un peu rassuré, Maurevert reprenait la forme de courage qui lui convenait, c’est-à-dire l’insolence. En même temps, il se sentit plus fort, et d’un coup d’œil rapide, examina encore les environs toujours solitaires.
– Je ne sais si je succomberai dans le duel que je vous offre, dit Pardaillan : c’est possible. Mais ce qui est sûr, c’est que je vous tuerai. Aussi sûr que le soleil nous éclaire, si nos fers se croisent aujourd’hui (Maurevert tressaillit et dressa l’oreille), vous êtes un homme mort. Il me paraît donc convenable de vous dire en deux mots pourquoi j’ai résolu de vous tuer. En même temps, je vous poserai une question à laquelle j’espère que vous voudrez bien répondre…
– Mille questions, monsieur de Pardaillan, répondit Maurevert.
Au moment même où il prononçait ces mots, il fit un bond terrible en arrière et se plaça derrière la croix qui surmontait la tombe du vieux Pardaillan. Aussitôt, il se mit à courir frénétiquement vers le cheval et la voiture qu’il avait tout à l’heure examinés.
– Ah ! misérable ! hurla le duc d’Angoulême en s’élançant.
– Pardaillan sourit, tira son pistolet et visa Maurevert qui était déjà à vingt pas… Il allait lâcher le coup… A cet instant, du pied de la croix où elle était comme accroupie, une ombre… cette forme que nous avons signalée… se dressa, s’interposa entre le canon du pistolet et Maurevert… Cette forme, c’était une femme… Pardaillan eut un regard terrible vers le ciel… Son bras retomba…
Que faisait là cette femme ?… Qui était-elle ?…
Toute droite, toute raide, appuyée à la croix, ses magnifiques cheveux d’or déroulés sur ses épaules, elle semblait ne voir ni Pardaillan, ni rien de ce qui était autour d’elle…
Pardaillan la regarda à peine : ses yeux étaient fixés sur Maurevert qui fuyait et sur Charles qui le poursuivait… Cela dura quelques secondes à peine… Maurevert faisait des bonds insensés. Tout à coup, il eut l’impression que quelqu’un… un être plus agile encore que lui… passait à son côté, le devançait, se
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