Fausta Vaincue
croix, Pardaillan entrevit une forme immobile. Qu’était-ce que cette forme ?… Une femme ?… Que faisait-elle là ?… Pardaillan n’y prêta aucune attention et la vit à peine ; son regard était rivé sur Maurevert…
Maurevert, en passant près de la tombe du vieux Pardaillan, s’était arrêté. Lui aussi, sans aucun doute, songeait à cette lointaine journée d’août, rayonnante comme celle-ci, où dans ce coin paisible, dont la paix souveraine formait un si étrange contraste avec les sanglants tumultes de la ville, il avait bondi d’un buisson pour frapper Loïse de Montmorency !…
Sans doute ces souvenirs s’éveillaient en lui, brûlants et terribles… Et sans doute, il songeait à cette vengeance de Pardaillan qui le poursuivait depuis lors et à laquelle, à diverses reprises, il n’avait échappé que par miracle… Et peut-être se disait-il que cette vengeance finirait par l’atteindre… qu’il était condamné… puisque l’infernal Pardaillan avait pu sortir de la Bastille, puisqu’il était venu à Chartres… puisqu’il était sur ses traces !…
– Sur mes traces ? murmura-t-il avec un sombre sourire. Pas encore !… Qui sait s’il a osé rentrer à Paris ?… Et qu’il y rentre donc ! C’est ce qui peut m’arriver de mieux !… Ce soir, je serai loin !… Loin de Paris !… Loin de Guise imbécile qui croit à mon dévouement !… Imbécile ! Oui !… Puisqu’avec toutes les forces dont il dispose, il n’arrive pas à se débarrasser d’un Pardaillan !…
Maurevert jeta les yeux au loin, vers un point de la pente où se trouve aujourd’hui la place Ravignan. Là, il vit un cheval attaché à un arbre, et près de ce cheval, une voiture solidement attelée de deux bêtes vigoureuses. Un laquais surveillait le tout, assis à l’ombre des châtaigniers.
– Bon ! fit Maurevert. Tout est prêt !… Dans vingt minutes la petite bohémienne est à moi… Ce que j’en ferai ? peu importe, pourvu qu’elle ne soit ni à l’imbécile duc incapable de me protéger, ni surtout à l’ami de Pardaillan !… Je l’enferme dans la voiture, je saute à cheval… Dans quatre jours au plus, je suis à Orléans… et là nous verrons !… Allons ! Adieu, Paris ! Adieu, Guise ! Adieu, Pardaillan !…
En prononçant ces mots, Maurevert s’était tourné vers Paris avec un sombre regard…
Pardaillan était devant lui, à vingt pas !…
Sur un signe de Pardaillan, le duc d’Angoulême qui marchait près de lui s’arrêta, et saisissant l’intention de son compagnon, se croisa les bras, pour exprimer que dans ce qui allait se passer, il allait être témoin et non acteur.
Le chevalier continua de s’avancer seul ; mais quand il fut à dix pas de Maurevert, il s’arrêta également.
Un fait remarquable, c’est que tous les condamnés à mort, au moment ou on les conduit au supplice, font le même geste instinctif… tous… tous à la seconde fatale, tournent la tête à droite et à gauche… ils regardent ceux qui le regardent…
C’est ce geste que fit Maurevert lorsque Pardaillan s’arrêta à dix pas de lui. Il eut ce regard à droite et à gauche… Mais les rampes de la montagne étaient désertes ; une paix énorme régnait sur les marécages de la plaine ; il était seul… seul en face de Pardaillan !…
Il comprit que vainement il tenterait de fuir, car ses jambes tremblaient, et il n’eût pu faire deux pas sans tomber.’
Il comprit que toute tentative de défense était vaine, car Pardaillan, c’était plus que le Droit et la Justice, c’était la Représaille vivante qui se dressait au nom des morts, pour un combat loyal, à armes égales !…
Et dans un combat à armes égales, Maurevert contre Pardaillan, c’était le chacal contre le lion.
Maurevert donc, ayant regardé à droite et à gauche, avec cette expression d’épouvante qui décomposait son visage, fixa la terre à ses pieds comme pour signifier :
– Ici, tout à l’heure, sera ma sépulture !…
Puis, lentement, il releva sa tête hagarde vers Pardaillan et murmura quelque chose de confus qui voulait dire :
– Que me voulez-vous ?…
Pardaillan parla alors… Charles d’Angoulême ne reconnut pas cette voix un peu basse, un peu sifflante, qui contenait un monde de souvenirs, de douleurs, d’amour et de haine… et pourtant cette voix demeurait très simple, et ce qu’elle disait était également très simple :
– Remarquez,
Weitere Kostenlose Bücher