Faux frère
pleins d’appréhension et sentit, sur son épaule, la poigne de fer de son maître.
— Ranulf, mon cher ami, susurra Corbett, un mot !
Ranulf lui décocha un regard furibond.
— Messire, je joue gros jeu !
— Moi aussi, Ranulf, rétorqua Corbett. Un mot cependant, loin de tes amis.
Ranulf se releva péniblement et Corbett l’entraîna, les doigts crispés sur son épaule.
— Que se passe-t-il, Messire ?
Ranulf grimaça de douleur lorsque Corbett resserra son étreinte.
— D’abord, Ranulf, je t’ai interdit de faire des parties de dés avec les soldats du roi. Ils ne renâclent pas à la tâche et tu ne dois pas les dépouiller de leurs deniers. Ensuite, poursuivit Corbett en desserrant les doigts, tu vas retourner à Londres immédiatement...
Ranulf troqua sa mine de feinte innocence pour une mimique narquoise.
— ... et enfin, il faut que tu fasses nos bagages.
— Messire, protesta Ranulf d’une voix rauque, je suis en train de gagner !
— Je sais, Ranulf, et tu rendras cet argent jusqu’au dernier sou ! Maltote !
Ranulf fit volte-face, l’air navré, et leva les yeux au ciel en croisant Maltote. Corbett lança un coup d’oeil angoissé à son palefrenier.
— Tu n’es pas armé ? s’enquit-il prudemment.
Le jeune homme sourit.
— Bien !
Corbett lui rendit son sourire, émerveillé devant l’ingénuité que trahissaient les yeux couleur de bleuet. Il n’avait jamais vu un soldat connaissant aussi bien les chevaux, sachant à la perfection les maîtriser et les soigner, qui fût aussi peu doué pour le maniement des armes. Maltote se servait-il d’un poignard, il se coupait ou blessait quelqu’un. Portait-il un arc, il s’y prenait les pieds ou manquait d’éborgner un pauvre passant. Quant à la lance ou l’épée, elles s’avéraient aussi dangereuses entre ses mains que dans celles des ennemis.
— Maltote ! Maltote ! murmura Corbett. Dire qu’avant ta rencontre avec Ranulf on t’aurait donné le Bon Dieu sans confession !
Il frémit devant l’admiration qu’il lut dans les yeux de son serviteur.
— Oui, oui, je sais ! soupira-t-il. Ranulf est un puits de science quand il s’agit de dés, de femmes et de vin. Mais nous devons nous rendre à Londres. Il faut nous en aller sur-le-champ. Prends deux chevaux aux écuries royales, galope à bride abattue et va annoncer notre arrivée à Lady Maeve.
Il s’humecta les lèvres.
— Dis-lui, conclut-il, que nous n’allons pas au pays de Galles, mais resterons un peu plus longtemps à Londres.
Le courrier opina du bonnet avec vigueur avant de s’éloigner prestement. Il ne s’arrêta que pour observer Ranulf qui, consterné, restituait ses gains frauduleusement acquis avec ses dés pipés. En le regardant partir, Corbett pria, les yeux clos, pour que Dieu et son palefrenier lui pardonnent sa couardise. Après tout, c’est le jeune messager qui, le premier, devrait essuyer le courroux de Lady Maeve !
CHAPITRE II
La silhouette, tapie dans l’ombre, attendait. Seul était visible, à la piètre lueur qui filtrait par l’étroite fenêtre, le reflet de la dague de cuivre qu’elle enfonçait dans une figurine en cire. Elle avait soigneusement pétri la statuette, n’utilisant que de la cire vierge recueillie sur des cierges d’autel ou dans les bougeoirs en or ou en argent des nantis. Elle avait façonné avec amour cet objet de haine. Six pouces de haut, seulement. Elle avait dû faire appel à une habileté digne d’un graveur pour modeler le visage rond, les longues jambes et les bras ainsi que les seins fermes et provocants. Elle avait épinglé, sur la tête, de la laine teinte en orange et attaché du crêpe rouge autour de la taille, de telle sorte que la poupée semblait porter une jupe volumineuse. Des yeux morts – deux boutons minuscules – la fixaient sans la voir, tandis qu’elle examinait son oeuvre. Puis, en ricanant, elle replongea sa dague dans le corps mou et blanc avant de l’en retirer et de décapiter méticuleusement la figurine.
Dans sa pauvre soupente, au-dessus d’une boutique de drapier dans Cock Lane, Agnès Redheard était transie de peur. Elle n’osait plus sortir de chez elle. Elle n’avait rien acheté à manger depuis des jours et, par suite de l’absence de clients, avait vu diminuer son modeste pécule. Elle avait soif et faim. Elle se sentait si seule qu’elle aurait accordé gratuitement ses faveurs pour avoir quelqu’un à qui
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