Fiora et le Magnifique
Si tu
sais t’en servir, ça rend les hommes fous...
Brusquement,
Fiora saisit la main que Pippa approchait de son ventre.
– C’est
toujours... pour ce soir ?
– Qu’j’attends
celui qui t’veut ? C’est oui mais ne m’demande pas son nom : j’te l’dirai
pas. Tu verras bien...
– Et
elle, dit Fiora en désignant du menton son ancienne esclave. Vas-tu
vraiment la jeter, dans l’enfer que j’ai entendu cette nuit, à des ivrognes, à
des brutes ?
– T’inquiète
pas ! J’vais la donner à quelqu’un qui saura apprécier. Ça vaut cher une p’tite
chose comme elle et on peut en tirer pas mal d’argent. En plus, elle aime l’amour...
– Tu
n’as pas peur qu’on la reconnaisse et que, par elle, on remonte à moi ? Les
esclaves tartares sont assez rares pour que la mienne soit connue. Laisse-la
auprès de moi. Tu l’emmèneras à Rome avec moi. Le cardinal Borgia sera sûrement
assez riche pour l’acheter ou bien moi je te la paierai quand j’aurai gagné
beaucoup d’or...
Il en
coûtait à Fiora de parler ce langage de courtisane mais pour sauver Khatoun d’un
sort affreux, elle eût marchandé avec le diable en personne.
– Elle
peut pas rester avec toi c’soir, répondit Pippa en malaxant énergiquement les
épaules et la poitrine de sa pensionnaire. Et puis elle pass’ra peut-être une
bonne soirée. L’client à qui j’vais la donner est un seigneur pour la
générosité et il est pas d’ici. Donc rien à craindre...
Fiora
comprit qu’il n’y avait rien à faire et se tut, laissant Pippa poursuivre son
massage. A présent son corps embaumait comme la boutique de Landucci quand il
recevait un chargement de parfums. Au bout d’un moment, elle demanda avec
amertume :
– Et
moi, dois-je m’attendre à ce que tu appelles une bonne soirée ?
Pippa
s’arrêta. Essuyant machinalement ses mains à son vêtement, elle soupira :
– Non.
Tu m’as l’air d’une fille assez courageuse pour que j’te dise la vérité et puis
vaut toujours mieux être prévenue. T’auras un mauvais moment à passer parce
que... parce qu’il est à moitié fou. Mais j’serai là... ou tout au moins pas
loin pour éviter l’pire. Quant à toi t’auras qu’à penser à c’que j’tai
promis... à ta fortune future !
L’or
semblait décidément représenter pour cette femme le bien suprême, le but à
atteindre, et Fiora qui, un instant, avait pensé qu’il serait peut-être
possible d’attendrir son cœur, y renonça. On avait payé Pippa pour accomplir sa
vilaine besogne et, si elle traitait sa prisonnière avec une certaine douceur,
c’était uniquement parce qu’en la voyant, elle avait découvert qu’avec des
ménagements elle pouvait en tirer beaucoup plus d’or qu’elle ne l’avait cru.
La
journée s’étira occupée par les soins que Pippa ne cessait de prodiguer, un
repas léger et quelques heures de repos. Quand vint la nuit, la Virago vint
habiller – à peine – Fiora d’une ample tunique de mousseline blanche
parfaitement transparente et piqua dans ses cheveux des brins de jasmin et
quelques boutons d’oranger. Khatoun, vêtue d’une robe de soie rouge qui lui
laissait les seins libres, des sequins dans les cheveux, avait disparu...
– T’as
presque l’air d’une mariée ! dit Pippa en contemplant son œuvre. Ça va lui
plaire. C’t’un gars qu’aime surtout les pucelles. C’est son plaisir d’les
ouvrir et j’lui en ai déjà procuré quéqu’s’unes. Y s’en désintéresse assez vite
après mais toi c’est pas pareil : t’es tellement belle !
Fiora
faillit dire qu’elle n’était plus vierge mais pensa que cela ne la sauverait
pas. Si cet homme s’était donné tant de mal pour l’avoir c’est qu’il tenait à
elle pour une raison ou pour une autre. Elle avait vainement cherché à imaginer
qui pouvait être cet inconnu. Tout ce qu’elle espérait à présent, c’était qu’il
fût un être, brutal sans doute, mais peut-être accessible à certains sentiments
humains et, s’efforçant de raffermir son courage, elle attendit, à demi étendue
sur le lit ouvert dans la lumière douce des chandelles qui faisait briller ses
cheveux et caressait le velours de sa peau.
Mais,
quand la porte s’ouvrit sous la main de Pippa pour livrer passage au « client »,
Fiora poussa un cri d’horreur et sautant à bas du lit, se réfugia dans les
rideaux qu’elle serra autour d’elle : celui qui entrait c’était
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