Fiora et le Magnifique
Pietro
Pazzi, le bossu, le boiteux, l’affreuse créature à laquelle Hieronyma avait
donné le jour, le garçon qu’elle prétendait lui offrir pour époux...
Il n’avait
que vingt ans mais, en réalité, il était sans âge car les griffes du vice
avaient déjà marqué son visage au teint blême. Il avait un long nez aplati du
bout, le cheveu rare et plat, de grandes oreilles, le menton en galoche, de
petits yeux noirs dont l’un se fermait par instants quand un tic habituel lui
remontait un côté du visage. Seules ses dents, très blanches, possédaient
quelque beauté.
Jusqu’à
présent, Fiora avait plaint de tout son cœur un garçon ainsi disgracié et que l’ironie
du sort avait fait naître dans la ville d’Europe où la beauté avait le plus d’importance.
On ne le voyait d’ailleurs jamais se mêler aux jeunes gens de son âge dont la
cruauté n’avait que railleries et sarcasmes pour sa difformité. Les filles le
fuyaient, celles du moins à qui leur nom ou leur fortune le permettait. Ainsi
Chiara le détestait et même en avait peur. Elle disait que le diable l’avait
engendré et se gardait bien de mettre les pieds au palais Beltrami quand elle
savait que le jeune Pazzi devait y venir. Ce qui était rare car il ne quittait
guère le domaine de son grand-père à Montughi où l’on disait qu’il s’adonnait à
l’alchimie et à l’élevage de chiens féroces.
La
terreur de Fiora parut l’amuser car il éclata de rire.
– Eh
bien, ma belle fiancée, est-ce là tout l’accueil que puisse attendre un
amoureux ? On dirait que je te fais peur ?
Cette
voix sarcastique rendit à Fiora sa colère que la peur avait chassée un instant.
Sans quitter l’abri de ses rideaux, elle riposta :
– Je
n’ai jamais eu peur de toi et tu le sais très bien. Je crois même avoir été
toujours aimable...
– Certes,
certes ! Aimable... oui. Pourtant tu as refusé de m’épouser. Ton « amabilité »
n’allait pas jusque-là, n’est-ce pas ?
– On
ne peut donner sa main sans donner son cœur. Je suis désolée Pietro mais je ne
t’aime pas.
– Ne
sois pas si désolée : moi non plus je ne t’aime pas... et même je crois
que je te déteste mais je voulais t’avoir à moi.
– Sois
franc ! C’était ma dot que tu voulais et ensuite la fortune de mon père...
– Ne
te déprécie pas tant ! fit-il avec un ricanement qui passa comme une râpe
sur les nerfs à vif de la jeune femme. Bien sûr, je voulais la fortune des
Beltrami et elle me revient de droit puisque tu n’es rien. Mais je te voulais,
toi surtout, pour t’apprendre à vivre à ma manière. Pour te soumettre à tous
mes désirs, à tous mes caprices... Ah, la belle vie que je t’aurais faite,
enchaînée jours et nuits à mon lit, comme une chienne... Tu n’as jamais vu mes
chiens, je crois ? ... C’est dommage... Ils sont beaux et forts et ils
lèchent mes mains pour avoir des caresses. Tu aurais vécu avec eux, partageant
leur pitance... J’avais même déjà fait faire un beau collier de cuir brodé d’argent
pour ce joli cou. Ah, comme nous aurions été heureux tous ensemble ! Je te
voyais déjà dormant nue sur le tapis de ma chambre auprès de Moloch, mon
molosse favori, venant à moi sur un simple claquement de fouet... Ce fouet-là,
tu vois ? ... et de sous le manteau noir qu’il portait négligemment jeté
sur ses épaules, il sortit une longue lanière de cuir tressé qu’il fit claquer.
Mais il n’est pas trop tard, tu sais ? Je vais d’abord t’épouser à ma
manière, là, sur ce lit de bordel... et puis, on verra comment réaliser ce beau
rêve... Viens à présent, ma douce, viens voir ton maître !
Il
était fou, cela ne faisait aucun doute. Avec ses yeux exorbités et sa bouche d’où
coulait un filet de bave, Pietro était terrifiant, démoniaque...
– Jamais !
cria Fiora éperdue. Je t’interdis de m’approcher !
– Tu
m’interdis ? Tu interdis quelque chose à ton maître ? Tu vas le
regretter... J’ai dit ici ! Au pied et à genoux !
Pippa
effrayée par la tournure que prenait la scène, intervint :
– Un
peu d’patience, seigneur ! Tu t’serviras de ce fouet plus tard, quand elle
sera un peu habituée à toi, fit-elle d’une voix paisible et qu’elle voulait
lénifiante. Songe que t’as devant toi une douce jeune fille, une vierge pure qu’a
encore jamais imaginé les joies d’une union avec toi... Commence par la prendre !
Ensuite,
Weitere Kostenlose Bücher