Fiora et le Magnifique
Zafolina, la fameuse
courtisane que se disputent les hommes les plus riches de la ville, en prenait
quelquefois deux !
Cette
fois Pippa était franchement sidérée. Selon son éthique personnelle, il était
impensable que la fille de Francesco Beltrami pût seulement savoir qu’il
existait des courtisanes. Fiora lui expliqua alors que la Zafolina était si
bien élevée, si discrète, si pieuse et si généreuse qu’il n’était pas rare qu’elle
fût reçue dans les meilleures maisons. On admirait ses toilettes, ses bijoux,
on aimait l’entendre parler ou chanter. Rien à voir...
– Avec
c’qui s’passe ici ? compléta Pippa tout en savonnant vigoureusement la
jeune femme : Ben, tu vois, c’est cette vie-là que t’auras si tu fais c’que
j’te dis. Seulement ça sera encore plus beau parce que ça s’ra à Rome et qu’tu
chanteras pour le pape ! On s’ra riches comme la reine du sabbat...
« de
Saba ! » rectifia machinalement Fiora mais la Virago ne l’écoutait pas.
Tout en lavant rigoureusement les cheveux de sa nouvelle pensionnaire, elle
rêvait tout éveillée, se voyant déjà régnant sur les affaires d’une Fiora
couverte d’or et de joyaux par tout le Sacré Collège répandu à ses pieds. Mais,
à dire vrai, la jeune femme ne l’écoutait pas davantage.
Elle
réfléchissait tout en se laissant aller au simple plaisir de ce bain chaud et
parfumé et dont elle avait grand besoin. Un plaisir qu’elle n’avait pas goûté
depuis plusieurs jours car la coutume voulait que l’on n’allât pas aux étuves
lorsque la mort passait dans une maison...
Après
le bain dans lequel Khatoun la remplaça après avoir reçu l’ordre de se
débrouiller toute seule, Pippa enveloppa Fiora dans un drap et l’installa le
dos au brasero pour faire sécher ses cheveux :
– J’reviendrai
t’masser et t’parfumer tout à l’heure ! déclara-elle en quittant la
chambre à la grande satisfaction de Fiora qui se rapprocha aussitôt de Khatoun
occupée à se savonner avec un soin maniaque.
– Je
ne te remercierai jamais assez pour ce que tu as fait, lui dit-elle. Peux-tu me
dire, à présent, où nous sommes ?
– Dans
le quartier San Spirito, outre Arno. La maison est derrière celle d’un marchand
de chandelles vers le milieu d’une petite rue qui débouche en face du grand
palais inachevé...
– Le
palais des Pitti ? Celui dont ils ont dû abandonner la construction ?
– C’est
ça. On entre ici par un long couloir et il n’y a aucune fenêtre donnant sur la
ruelle. Il y a une lanterne rouge au-dessus de la porte.
– Autrement
dit, ça ne va pas être facile d’en sortir, sinon impossible, Qui viendrait nous
chercher ici ?
– Il
y a tout de même quelqu’un qui sait... Khatoun baissa la voix de plusieurs tons
et agita l’eau du bain pour mieux la couvrir. C’est un vieux mendiant que j’ai
rencontré près du couvent. Il a été très bon, très généreux. La femme avait
raison : c’est défendu de mendier sans la permission des autres mais lui m’a
permis. Il m’avait prise un peu sous sa protection et il était avec moi quand
les hommes t’ont apportée ici...
– Tu
lui avais dit pourquoi tu t’étais installée près de Santa Lucia ?
– Oui.
– Et
il t’a aidée tout de même ?
– Oui
mais ensuite il m’a conseillé de rentrer à la maison. Je n’ai pas voulu. Alors,
il a disparu en me disant que si je restais là je me ferais prendre...
Tristement,
Fiora retourna prendre sa place auprès du feu. Le mince espoir qu’elle avait
conçu s’évanouissait comme le mendiant dans la nuit. Il avait eu pitié de
Khatoun et c’était tout ! Fonder quelque espérance sur l’intérêt d’un être
aussi dépourvu qu’un mendiant relevait de la pure folie. Il faudrait essayer de
trouver autre chose. Mais quoi ?
Quand
Pippa revint, elle lava les cheveux de Khatoun et la fit sortir de l’eau, ôta
la bonde du baquet pour le vider puis revenant à Fiora, la fit étendre sur le
lit pour oindre son corps d’une huile parfumée tandis que Khatoun se séchait à
son tour. Le nez froncé, Fiora renifla l’odeur qui s’échappait des mains de la
Virago.
– Qu’est-ce
que ce parfum ? Celui que j’employais était fait d’iris, de verveine et d’un
peu de jasmin.
– Ça
sent sûrement très bon mais ça ne doit pas valoir grand-chose pour l’amour. Ça,
c’est du nard et ça coûte assez cher pour qu’tu fasses pas la grimace.
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