Fiora et le Magnifique
la fatigue, à la peur, à la rue, à la
nuit et au danger des mauvaises rencontres pour essayer, elle si faible et si
pauvre, d’arracher sa maîtresse à un sort affreux ! L’idée que, dès le
lendemain, la Virago la ferait entrer dans son enfer, la livrerait aux brutes
qu’elle entendait rire et s’injurier l’épouvantait. Elle redoutait cela plus
que son propre sort parce qu’elle se sentait à présent une force qu’elle n’avait
jamais soupçonnée encore. La haine et la cupidité de Hieronyma l’avaient
arrachée à son monde aimable et élégant pour la jeter parmi les fauves et elle
savait maintenant que, si elle voulait vivre, il lui faudrait combattre et avec
les armes qui lui tomberaient sous la main. Plus encore si elle voulait
assouvir un jour ce goût de la vengeance qui enserrait son cœur comme ces
mauvaises plantes dont les spires mortelles étouffent lentement leurs sœurs
sans autre défense que la main du jardinier. Mais aucun jardinier bienfaisant
ne viendrait délivrer ce cœur fait tout entier pour l’amour et qui peu à peu se
dessécherait... à moins que l’eau de la tendresse ne lui soit redonnée. Mais le
seul capable d’accomplir ce miracle ne s’en souciait et ne s’en soucierait
jamais...
Le
chant du coq ramena le silence dans la maison de Pippa. Fiora entendit s’éloigner
le dernier ivrogne. Il massacrait d’une voix atrocement fausse une chanson que
Fiora aimait :
J’allais
cherchant à cueillir une fleur
Vous
en avez de si belles sur votre blanc visage...
Passant
par cette voix hoquetante la romance était à peine reconnaissable. Elle était l’image
même de ce qu’était devenue la vie de Fiora : une caricature, un
cauchemar, une dérision dont elle ne voyait pas, du fond de ce cloaque où elle
était tombée, comment elle pourrait en sortir... et en quel état ! Du
moins avait-elle à présent, en Khatoun, une compagne de misère. D’un seul coup,
les distances s’étaient abolies – en admettant qu’il y en eût vraiment ! –
entre elle et la jeune esclave qui lui devenait une sœur, plus fragile
peut-être, et qu’il allait falloir protéger mais avec laquelle il devenait
possible d’établir un plan de fuite puisque Khatoun, au moins, savait où se
trouvait la maison de Pippa.
Fiora
ne s’endormit qu’à la première lueur de l’aube alors que la maison ne résonnait
plus que des ronflements de ses habitants...
Un
bruit de portes claquées et de chute d’eau la réveilla. Pippa, négligemment
vêtue d’une sorte de peignoir de soie bleu vif, était occupée à verser, dans le
baquet, le contenu de seaux d’eau qu’elle prenait devant la porte. Apparemment,
le côté étuve de l’étrange logis allait servir : Pippa préparait un bain.
Entre
ses cils baissés Fiora l’observait. Elle découvrit que cette femme était bâtie
comme un homme, à l’exception de deux seins de marbre blanc que le vêtement
découvrait par instant. Elle en avait la musculature noueuse qui gonflait ses
bras et ses épaules mais sans une once de graisse et la peau, très blanche,
semblait aussi lisse que celle d’un enfant sauf sur l’une des épaules où une
vilaine cicatrice, trace d’un ancien coup de couteau, parlait d’une existence d’où
le danger n’était pas exclu.
Quand
elle jugea qu’il y avait assez d’eau, Pippa y trempa son bras pour contrôler la
température, disparut un instant, revint avec une boîte où elle prit une
poignée de quelque chose qu’elle jeta dans le baquet. L’odeur familière de
résine de pin et de feuilles de laurier -Léonarde, rompue aux habitudes
florentines en faisait mettre toujours dans les lessives pour parfumer le linge
-emplit la pièce. Mais ce n’était pas de lessive qu’il s’agissait ce jour-là...
Sans
même s’assurer qu’elle était réveillée, Pippa enleva Fiora de son lit et la
plongea dans l’eau où elle disparut jusqu’aux épaules, non sans protester :
– Est-ce
qu’il n’était pas plus simple de me dire de me lever et d’entrer dans ce bain ?
dit-elle.
– C’est
pas certain. Y a des gens qu’aiment pas s’laver. Comme ça j’évite les
discussions.
– Mais
j’aime me laver et Khatoun aussi. Chez nous, il y a une grande étuve. Je m’y
baignais chaque jour !
Pippa
renifla d’un air méfiant :
– C’est
pas un peu beaucoup ? Un bain tous les jours ça doit user la peau ?
– Tu
vois bien que non. J’ai aussi entendu dire que la
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