Fiora et le Magnifique
t’es réfugié derrière Marsyas ? Tu
as bien fait d’ailleurs.
Quittant
enfin l’appui de la statue, il resserra autour de ses reins la ceinture de cuir
qui retenait les plis lourds de sa longue robe de velours brun garnie d’une
bande de martre et glissa son bras sous celui du médecin :
– Rentrons,
à présent, mon ami. Ce moine a gâché pour aujourd’hui le charme du jardin.
Allons dans mon studiolo...
Côte à
côte, les deux hommes gravirent le raide escalier qui menait à l’étage. Lorenzo
marchait en regardant ses pieds et ne disait rien. Le médecin respectait son
silence, devinant en partie les pensées qui s’agitaient sous ce grand front
intelligent. Ensemble, ils parcoururent les salles de réception bourrées d’œuvres
d’art, réchauffées de tapisseries précieuses et de tapis chatoyants venus des
lointains marchés d’Orient et atteignirent enfin une grande pièce entourée d’armoires
de chêne aux solides pentures de fer dont certaines, ouvertes, laissaient voir
qu’elles étaient remplies de livres reliés de velours ou de cuir d’Espagne mais
tous richement décorés. Un petit homme entre deux âges, vêtu comme un chanoine
et portant des lunettes sur le bout de son nez, travaillait devant l’une de ces
armoires, assis à une table marquetée.
Il
leva les yeux à l’entrée des deux hommes, sourit et voulut se lever mais la
main de Lorenzo le maintint sur son siège :
– Reste
là, Marsile ! C’est l’ami que je reçois plus que le médecin et ta sagesse
peut nous être d’un grand secours.
– Elle
est tout entière à ton service, dit le petit homme et il se rassit... Marsile
Ficino, philosophe platonicien, médecin et chanoine de l’église San Lorenzo – triple
fonction dont il se tirait avec originalité en vivant comme un sybarite, en
laissant la médecine aux autres et en prêchant Platon en chaire – était l’un
des plus proches commensaux du Magnifique.
Celui-ci
alla s’asseoir auprès d’une table sur laquelle brillait un extraordinaire vase
taillé dans une énorme améthyste et serti de perles. Il ne disait toujours rien
mais Démétrios nota l’air las avec lequel il chercha l’appui de la table.
– Tu
souffres, seigneur, dit-il. Se peut-il que tu aies eu réellement besoin de ton
médecin, toi qui es jeune et si solidement bâti ? En ce cas, pardonne le
retard que j’ai mis à te rejoindre !
– Ma
gorge m’a fait un peu mal mais cela va mieux. On m’a dit d’ailleurs que tu
étais en mission sainte pour le compte de ma mère, ajouta-t-il avec un sourire
moqueur. Tu aurais jugé utile de faire approcher la ceinture de la Vierge à
certain baume destiné à ses reins douloureux ? Toi qui ne crois ni à Dieu
ni à diable ? J’espère que mon oncle Paolo qui est grand prévôt de la
cathédrale de Prato t’a réservé bon accueil ? Un mécréant de ta hauteur !
– J’avais
ordonné que l’on fît cette réponse au cas où tu me demanderais. J’ignorais quel
serviteur tu chargerais de ton appel. Le recours au miracle est toujours bien
vu du petit peuple...
– Sagement
pensé ! Mais si tu n’étais pas à Prato où donc étais-tu ?
– Je
travaillais pour la justice pendant que mon serviteur traquait l’assassin de
Francesco Beltrami.
Lorenzo
tressaillit et se redressa, l’œil allumé :
– L’a-t-il
trouvé ?
– Oui.
C’est Marino Betti, l’intendant de Beltrami, celui qui l’a trahi pour les beaux
yeux de la dame Hieronyma. Je m’en doutais d’ailleurs...
– Tu
as des preuves ?
– Non
mais une certitude absolue...
Et
Démétrios raconta ce qui s’était passé dans la taverne au bord du fleuve.
– Il
ne l’a pas tué estimant que ce n’était pas à lui de faire justice, ajouta-t-il.
– Sans
preuves, la Seigneurie n’acceptera jamais de le faire arrêter. Elle a été trop
contente de livrer le palais Beltrami au pillage de ses sbires et, si je n’étais
pas là, elle aurait déjà mis la main sur le fabuleux héritage... Chacun réclame
sa part de la curée.
– Esteban
ne pensait pas à cette justice-là mais à celle qu’est en droit d’exercer la
fille de la victime !
– Fiora ?
fit Lorenzo avec un haussement d’épaules. Encore faudrait-il savoir ce qu’elle
est devenue ? Les bruits les plus contradictoires courent depuis ce matin.
On la croyait en fuite, ce qui m’étonnait d’elle. On parle à présent d’enlèvement
et tout à l’heure j’ai reçu
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