Fiora et le Magnifique
contre la volonté de
la moitié de ses grands et sans avoir jugé bon d’associer à ce sacre son époux,
le prince Ferdinand d’Aragon, elle est aujourd’hui en guerre contre le roi
Alphonse V de Portugal qui a épousé la fille – bâtarde dit-on ? – du
défunt roi de Castille Henri IV dont Isabelle n’est que la sœur. Tu vois que je
suis au courant... comme d’ailleurs de tout ce qui se passe en Europe.
– J’imagine
que tu as des espions partout mais ils te renseignent mal. La reine Isabelle
place Dieu au-dessus de tout. Elle entend, en Son nom, reconquérir tout ce que
le Maure tient encore sous sa griffe noire et elle espère pouvoir établir enfin
dans ses royaumes la Sainte Inquisition...
– Dont
tu aimerais être le chef ! Je reconnais que tu sembles fait pour cela...
mais Florence n’a pas besoin d’un Grand Inquisiteur. Aussi, fray Ignacio, je te
prie de cesser de te mêler de nos affaires... et, mieux encore, de retourner à
Rome. Je te remettrai, pour le pape, une lettre attestant de ton zèle comme de
tes capacités.
– Je
partirai lorsque la fille d’iniquité aura subi, comme elle l’avait accepté, le
jugement de Dieu. Fais fouiller cette ville rue par rue, maison par maison...
sans oublier celle de tes amis... et ta propre demeure ! Trouve-la et je m’estimerai
satisfait... pour le moment. Seule l’Église sait comment il faut traiter les
êtres de cette sorte.
– Elle...
ou sa fortune ?
– La
robe que je porte devrait m’épargner ce genre d’insinuation. Que m’importe
cette fortune ?
– A
toi, je veux bien le croire mais elle intéresse fort un proche ami de notre
Saint-Père, un certain Francesco Pazzi.
– Je
ne connais pas cet homme.
– Tant
mieux pour toi. Quoi qu’il en soit... et au cas où tu le rencontrerais plus
tard, dis-lui que la fortune des Beltrami n’ira jamais enrichir les Pazzi. Que
l’on retrouve Fiora ou non !
– Donna
Hieronyma y a tous les droits !
– Donna
Fiora a été adoptée officiellement. Sur un faux peut-être mais il y a là un
point de droit qui doit être longuement discuté et qui peut-être ne sera jamais
tranché. En attendant, la banque Médicis assumera la garde et le développement
de cette fortune. Sous le contrôle de la Seigneurie, bien sûr, ajouta Lorenzo
avec un sourire qu’un observateur non prévenu eût peut-être qualifié de diabolique.
Mais le visage de fray Ignacio était encore moins agréable à contempler. Sa
figure devint plus jaune comme si la bile, quittant ses voies naturelles, s’infiltrait
dans son sang. Ses yeux fulgurèrent et, levant vers le ciel son bras maigre que
la large manche découvrit :
– Prends
garde de lasser la patience de Dieu, Médicis ! fulmina-t-il. Un jour...
L’entrée
en scène de Démétrios lui coupa la parole. Le Grec, pensant que son arrivée
débarrasserait peut-être Lorenzo du moine espagnol, s’était décidé à quitter l’abri
de son Marsyas. Le sourire de Lorenzo lui fit comprendre qu’il
avait pensé juste.
– On
m’a dit que tu me faisais chercher, seigneur ? Es-tu souffrant ? Puis,
adressant au moine un salut cérémonieux : Pardonne-moi de t’avoir
interrompu, saint homme. Il faut n’y voir que ma hâte de porter secours à qui
en a besoin. Tu disais ?
Fray
Ignacio avait laissé retomber son bras menaçant et glissait à présent ses mains
dans ses manches mais ses yeux avaient pris la dureté du granit en considérant
l’importun. Avec une grimace de dégoût, il jeta :
– Qu’un
jour la foudre s’abattra sur ce nid d’hérétiques ! Comment oses-tu
adresser la parole à un homme de Dieu, sorcier, suppôt de Satan ? Arrière !
Ton souffle seul empuantit l’air...
– C’est
à celui qui se sent incommodé de se retirer, dit calmement Lorenzo. Je te donne
le bonsoir, fray Ignacio !
Ainsi
formellement congédié, le dominicain s’éloigna sans saluer, mâchant des
malédictions entre ses dents serrées. Les deux hommes le regardèrent franchir
la colonnade, puis le cortile et finalement le portail du palais.
– Le
vilain oiseau que voilà ! grogna Démétrios. Qu’est-il venu chercher ici ?
Lorenzo
éclata de rire, un rire jeune et joyeux mais tonitruant et qui fit envoler un
couple de tourterelles grises et roses qui s’étaient perchées sur l’épaule de Judith :
– Allons,
Démétrios ! Tu le sais aussi bien que moi. Crois-tu que je ne t’ai pas
aperçu, tout à l’heure, quand tu
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